Ok... Je suis allé au cinéma sans savoir que c'était un policier, je ne savais même pas que Kurosawa s'était essayé à ce genre, et j'ai vécu une de mes plus grandes expériences cinématographiques.
La première partie prend place dans un appartement où se déroule une réunion entre plusieurs actionnaires d'une société. Le réalisateur prend bien le temps d'établir une situation, de peaufiner les détails, puis il la fait voler en éclats par un simple coup de téléphone, qui frappe dans la petite brèche laissée avec fausse négligence. S'ensuit alors un bras de fer entre deux partis, dont les rapports de force se construisent uniquement par le dialogue. La tension ne fait alors que monter à mesure que les enjeux prennent de l'ampleur. Ils deviennent d'ailleurs si importants que les personnages finissent par courber la tête... (le plan où ils sont tous prostrés dans un coin est magnifique)
J'ai cru que le film allait tenir les deux heures trente dans cet appartement, les rideaux tirés, enfermé dans un huis clos. Kurosawa avait largement les moyens de le faire, mais il finit par sortir au bout d'une heure afin de poursuivre l'enquête ailleurs. Et à partir de là, il multiplie les séquences de génie. La scène du train, par exemple, possède des retournements de situations intelligents, qui donnent l'impression que les rouages scénaristiques commencent à peine à se mettre en place. Il y a également le moment où la police fait un grand récapitulatif de l'enquête, qui permet en même temps de nous épargner toutes ces recherches inintéressantes et de développer subtilement les relations entre les hommes chargés de l'enquête. Enfin, il y a cette scène de filature in-ter-mi-nable et pourtant passionnante, car les policiers, en plus d'être toujours à deux doigts de perdre le suspect, redoutent ce qu'ils vont découvrir autant que le spectateur.
Peu de choses à dire sur cette œuvre, si ce n'est qu'elle démontre que l'important n'est pas la résolution de l'enquête, mais son déroulement. Partant d'un dilemme horrible, Akira Kurosawa met en place une tension qui ne faiblit jamais tout en faisant de chaque séquence un petit chef-d’œuvre, ce qui lui permet d'élever Entre le ciel et l'enfer au rang des plus grands polars du cinéma.