Entre les murs de Laurent Cantet et François Bégaudeau est une succession de petites scénettes, de moments de vie entre les murs de la classe, de la cours d'école, de la salle des profs, aux réunions parents-profs, aux conseils de classe, aux conseils de discipline ... François Bégaudeau est donc ce professeur de français et professeur principal de 4°3, qui anime sa classe d'un collège en ZEP (Zone d'éducation prioritaire). Il évite tout cynisme et montre une vraie envie de remplir sa mission, faire tout son possible, avec pour seule limite, la réalité sociale des quartiers.
Entre les murs est le seul film sur l'école que je connaisse, dans lequel l'école n'est pas juste un décor de fond. C'est un vrai film sur l'école, on est en permanence dans l'école, dans un lieu de travail. Et comme dans la série The Wire, qui dans sa saison 4 s'attaque au système éducatif de Baltimore, François Bégaudeau nous montre les jeunes et les profs tels qu'ils sont, ni bons, ni mauvais et on se surprend à avoir de la sympathie et de l'empathie pour chacun d'entre eux. On se dit aussi qu'il ne manque pas grand chose pour que ça fonctionne, mais ...
Je me reconnais beaucoup en lui, car comme lui je suis un idéaliste. J'aime bien chambrer gentiment mes élèves et tout naturellement j'accepte qu'ils me chambrent en retour (toujours gentiment bien sûr). Mais effectivement, cette méthode a ses limites, elle ne fonctionne pas sur tous les élèves d'une classe et elle ne doit pas justifier l'injustifiable, ni nous pousser à accepter l'inacceptable. C'est là que la sanction doit tomber, afin de retrouver un environnement plus serein pour apprendre.
On pourrait aussi reprocher à François Bégeaudeau de manquer d'autorité, de trop laisser faire, mais n'oublions pas que nous sommes ici dans un établissement en ZEP. Il ne faut pas être trop laxiste bien sûr, mais trop de sévérité ne fonctionne pas non plus avec des élèves en grosses difficultés d'apprentissage et/ou de comportement (la plupart du temps ils cumulent les deux). C'est aussi dans ces moment là qu'on se rend compte, qu'enseigner dans un lycée ou un collège ce n'est pas pareil, qu'enseigner en centre ville ou en banlieue ce n'est pas pareil, qu'enseigner dans le public ou dans le privé ce n'est pas pareil ... C'est toute la complexité de ce métier, il n'y a pas de méthode clés en main et il n'y a pas deux classes qui se ressemblent.
Esmeralda est la vraie star du film, elle est d'un naturel désarmant. Mais tous les jeunes du films sont formidables. Tous sans exceptions sont attachants et encore plus ceux qui rencontrent des difficultés pour apprendre. La bonne idée du réalisateur, c'est de prendre des jeunes qui viennent de ces quartiers-là et de leur demander de jouer leur propre rôle dans le film. Pour le proviseur et les professeurs, on sent qu'ils sont moins à l'aise devant la caméra. Il y a une certaine "gêne" d'être devant la caméra chez les adultes, qu'on ne ressent pas chez les jeunes. Et puis leurs discours sont trop convenus, trop récités pour qu'on y croit vraiment.
Centaines situations sont tout de même surjouées, comme le pétage de plombs du prof de techno en salle des profs et l'incident "pétasse" en classe. Voir un professeur perdre son contrôle comme ça, démissionner à la première difficulté rencontrée, ce n'est pas l'école que je connais moi. Pareil pour l'incident "pétasse" en classe, je n'imagine pas un professeur déraper à ce point devant des élèves et s'en sortir comme ça, comme si de rien n'était. Certaines situations ne sont tout simplement pas possibles dans la réalité, jamais un professeur ne quittera sa classe pour accompagner un élève jusqu'au bureau du proviseur. On ne laisse pas une classe sans surveillance et c'est le rôle du CPE et non du proviseur de prendre en charge un élève exclu de cours (et accompagné par le délégué de classe). Toujours dans les situations inimaginables, c'est inconcevable de voir deux déléguées (Esméralda et Louise) se comporter de la sorte, ricanant pendant un conseil de classe, sans qu'on les reprenne.
Les meilleurs passages du film sont clairement les situations jouées en classe, lorsque le professeur donne la parole aux élèves. C'est très convaincant, tout comme les passages lors du conseil de classe (hormis le comportement des deux élèves déléguées) et en salle des profs (hormis le pétage de plombs du prof de techno). J'ai aussi beaucoup aimé le passage avec le professeur qui va à la rencontre des élèves dans la cours. Le film montre bien que dans la cours, c'est l'inversion des rapport de force. Le professeur est plus à l'aise dans sa classe, c'est lui qui dicte les règles du jeu. Dans la cours, il se retrouve sur le terrain de jeu des élèves et cette fois-ci, ce sont les élèves qui prennent le dessus sur lui. J'aime aussi beaucoup le dernier passage du film où le professeur fait le bilan de l'année avec les élèves. Là encore c'est très réaliste et on se rend bien compte, qu'on est pas loin de l'aveu d'échec avec de nombreux élèves. Ainsi, la toute dernière scène est très touchante avec l'élève qui se confie au professeur, pour lui dire qu'elle n'avait rien appris durant toute l'année, dans aucune matière ... c'est assez désarmant !
J'aime beaucoup François Bégaudeau, mon appréciation du film est peut être biaisée à cause de ça. Pour moi on est plus proche d'une fiction que d'un film documentaire. On accumule les situations d'échecs, les problèmes de comportement, les sanctions ... après c'est normal pour un besoin de dramaturgie, on ne va pas montrer un cours ou tout se passe bien, ça n'intéresserait personne. On peut se demander aussi si "y'en a qui veulent encore être prof après avoir vu ce film ?". Ma réponse est oui, mais j'aimerais le demander à tous ceux qui ne sont pas dans ce métier. J'espère quand même que le film donne envie d'être prof, pour aider les jeunes à évoluer dans leur vie.
Mais voilà, c'est le dur retour à la réalité, nous ne sommes pas en politique et il est statistiquement impossible que tous ces jeunes soient complètement "cons" ... et pourtant, la plupart semblent être condamnés d'avance. Pour certains, ils sortiront du système scolaire sans avoir acquis, ni les connaissances nécessaires pour s'épanouir dans leur vie future, ni les moyens d'acquérir ou de cultiver ce savoir. Mais ce qui est peut-être encore plus déprimant (et accablant), c'est de voir ces jeunes sortir du système scolaire sans la capacité de s'exprimer, condition indispensable pour développer une identité propre et pour communiquer avec les autres. Si seulement ils comprenaient l'utilité d'acquérir du savoir et si seulement l’éducation nationale sortait de son cadre habituel, en donnant plus de liberté aux professeurs, on casserait sans doute les murs.