Fut un temps pas si lointain ou le buveur de sang était considéré comme un être purement maléfique et animal, prédateur sans aucun remord passant le plus clair de son temps à sectionner de la carotide dans de vieux châteaux putrides avant de piquer un somme dans son cercueil IKEA. Puis vint la romancière Anne Rice et ses vampires précieux et efféminés, devisant à la pleine lune sur la dernière collection Versace avant de se brosser les cheveux entre copines pour aller s'éclater comme des folles. Nosferatu ne s'en est toujours pas remis.

Mais la créatrice des "Chroniques des vampires" ayant un talent fou pour l'écriture, ses récits, malgré leur aspect crypto-gay, sont heureusement teintés d'une profonde mélancolie et conservent toute la férocité du mythe originel, ne trahissant finalement jamais la nature monstrueuse de ses êtres nocturnes. Le premier volet de sa saga vampirique ayant connu un beau succès d'édition, il était évident que Hollywood tenterait d'apporter un peu de sang neuf à un genre pressé jusqu'à la dernière goutte.

Fidèle au roman initial (Anne Rice signe elle-même l'adaptation), "Entretien avec un vampire" capte immédiatement l'attention du spectateur, avide qu'il est d'en connaître d'avantage sur ce vampire des temps modernes ultra-sexy avec sa gueule de Brad Pitt. Construit comme un long flashback, il nous entraîne dans un univers aussi baroque que désabusé, aussi violent que délicat, bien loin de l'image véhiculée par les classiques de Universal ou de la Hammer, où éternité est d'avantage synonyme de damnation que de félicité.

Revêtant au premier abord l'apparence de vieilles tantouzes échappées du bois de Boulogne, les suceurs de sang conservent heureusement toute leur sauvagerie, leur instinct de tueur sanguinaire, même si beaucoup pourront sourire à la vue de quelques plans à l'imagerie gay franchement amusante. Mais c'est surtout par l'intermédiaire de deux personnages fascinants que "Entretien avec un vampire" gagne ses galons de classique du genre, d'abord avec le personnage froid et calculateur de Lestat, sale gosse puéril et cruel cachant derrière son cynisme une vraie solitude, et surtout celui de Claudia, éternel enfant au visage de poupée de porcelaine aussi meurtrière qu'innocente, écho évident aux blessures d'Anne Rice. Dans ces deux rôles casse-gueules, Tom Cruise et la toute jeune Kirsten Dunst impressionnent fortement, lui brisant son image de beau gosse propre sur lui avec une jubilation certaine, elle faisant preuve d'une maturité étonnante pour son âge. Ils éclipsent sans problème leurs compagnons de jeu, notamment un Antonio Banderas ne correspondant absolument pas au rôle.

Confiée à l'esthète Neil Jordan, la mise en scène, certes un poil académique, donne lieu à des images de toute beauté, renforcées par une photographie somptueuse et par les décors gothiques et impressionnants de Dante Ferretti. Aussi poétique que touchant (les premiers pas de Claudia), empreint d'une profonde tristesse (la mélancolie de Louis, parfaitement incarné par Brad Pitt, est douloureusement palpable) mais n'oubliant jamais sa condition de film d'épouvante, "Entretien avec un vampire" est un classique du genre qui conserve encore toute sa puissance.

Créée

le 13 janv. 2014

Critique lue 3.6K fois

62 j'aime

11 commentaires

Gand-Alf

Écrit par

Critique lue 3.6K fois

62
11

D'autres avis sur Entretien avec un vampire

Entretien avec un vampire
Gand-Alf
9

Sympathy for the devil.

Fut un temps pas si lointain ou le buveur de sang était considéré comme un être purement maléfique et animal, prédateur sans aucun remord passant le plus clair de son temps à sectionner de la...

le 13 janv. 2014

62 j'aime

11

Entretien avec un vampire
Buddy_Noone
10

Imagine que c'est du vin

L'irlandais Neil Jordan est un de ces réalisateurs qui aura su dans les années 90, redéfinir une mythologie en adaptant majestueusement le premier volume des Chroniques du vampire d'Anne Rice, sorti...

le 15 sept. 2014

49 j'aime

11

Entretien avec un vampire
SeigneurAo
8

La séparation de l'Église et de Lestat

Pour une fois, strictement rien à redire par rapport à l'adaptation et pour cause, c'est Anne Rice elle-même qui a écrit le script. Cela donne à la fois au film une grande cohérence et un bon...

le 16 mars 2012

31 j'aime

11

Du même critique

Gravity
Gand-Alf
9

Enter the void.

On ne va pas se mentir, "Gravity" n'est en aucun cas la petite révolution vendue par des pseudo-journalistes en quête désespérée de succès populaire et ne cherche de toute façon à aucun moment à...

le 27 oct. 2013

269 j'aime

36

Interstellar
Gand-Alf
9

Demande à la poussière.

Les comparaisons systématiques avec "2001" dès qu'un film se déroule dans l'espace ayant tendance à me pomper l'ozone, je ne citerais à aucun moment l'oeuvre intouchable de Stanley Kubrick, la...

le 16 nov. 2014

250 j'aime

14

Mad Max - Fury Road
Gand-Alf
10

De bruit et de fureur.

Il y a maintenant trente six ans, George Miller apportait un sacré vent de fraîcheur au sein de la série B avec une production aussi modeste que fracassante. Peu après, adoubé par Hollywood, le...

le 17 mai 2015

212 j'aime

20