Entrons dans la danse (1949) retrouve intactes les qualités et limites du duo Astaire-Rogers, dix ans après leur dernier film ensemble. Fluidité, professionnalisme… mais toujours un certain manque d’âme et de réelle complicité. Ginger Rogers n’a pas le côté à la fois gracieux et maladroit de Rita Hayworth, ni l’aura tragique de Judy Garland, ni le charisme mutin d’Audrey Hepburn. Du coup, les numéros qui les rassemblent sont les moins intéressants (un mélange vu et revu de valse et claquettes). Il y a un joli trio sur les joies d’un week-end à la campagne, avec Oscar Levant en urbain rétif à la nature, et surtout LE grand numéro d’Astaire, « Shoes with wings on ». Une paire de chaussures danse toute seule sur un comptoir (animation /transparence) : l’employé les chausse et le voilà embarqué dans des pas qu’il ne contrôle pas. Astaire joue à merveille de la disjonction entre ses pieds et le reste du corps – on pense même à une forme primaire de hip hop. Bientôt ce sont toutes les chaussures du magasin qui s’animent, Astaire danse avec, leur donne des coups de balai, leur tire dessus comme à la foire. Le mélange est savoureux, entre la densité physique du danseur (aucune triche, forcément) et l’artifice de l’effet spécial. C’est une recette connue, mais payante : Gene Kelly dansant avec Jerry dans Escale à Hollywood, ou avec son double dans Cover Girl ; Astaire lui-même et sa danse au plafond dans Mariage Royal.
Pour le reste, l’intrigue est assez pénible : Astaire et Rogers forment un couple à la vie/à la scène, jusqu’à ce qu’un pédant dramaturge français propose à Rogers de jouer au théâtre de vrais rôles dramatiques (et tant qu’à faire, carrément Sarah Bernhardt). Du coup, jalousie d’Astaire. Une ravissante idiote se voit propulsée pour faire la doublure de Rogers au cas où. Du coup jalousie de celle-ci. On attend qu’ils se séparent, puis qu’ils se rabibochent, dans un ersatz bourgeois et empesé de comédie du remariage. Une seule scène cruelle, celle où Rogers simule la maladie, avec le dramaturge caché derrière un paravent, afin de se donner une excuse pour avoir oublié Astaire sous la pluie.
La réalisation de Walters est assez impersonnelle : faut-il l’imputer aux limites de Rogers ? Walters est bien plus inspiré par Garland, pour qui le rôle était écrit, et qu’il a magnifié deux fois – Parade de printemps et La jolie fermière. Je connais mal la suite - deux films avec Leslie Caron et trois avec Esther Williams.