Ce film précoce dans la carrière de Kaneto Shindō ajoute une pierre à l'édifice du cinéma japonais narrant la vie des geishas et des maisons de geisha, un registre déjà bien fourni en 1953 grâce aux contributions de Kenji Mizoguchi, par exemple, entre Les Sœurs de Gion ou le plus tardif La Rue de la honte (qui ne sont au demeurant pas mes préférés du réalisateur), et une grande variété de regards complémentaires — vu récemment, le très beau et original Les Fleurs tombées de Tamizō Ishida (1938) est venu compléter ce corpus personnel. Si Shukuzu (parfois connu sous les titres "Epitome" ou "Miniature") souffre de quelques longueurs, en particulier dans la dernière partie qui investit un sentier mélodramatique un peu trop appuyé à mon goût, il reste malgré tout relativement incontournable à travers le travail d'interprétation de Nobuko Otowa, fidèle (et amante) du réalisateur durant des décennies, dans le rôle de la protagoniste Ginko. Elle incarne avec un talent net la fille d'un cordonnier au sein d'une famille pauvre, qui sera contrainte de devenir geisha (comprendre : vendue afin de subvenir aux besoins de ses proches).
Tout le film est là : Ginko évolue d'un établissement à l'autre, entre Tokyo et l'archipel d'Hokkaidō, et Shindō saisit l'opportunité pour raconter dans un style très intimiste la vie des prostituées issues de cet univers, depuis l'intérieur, de manière quasiment exclusive. C'est en ce sens que l'influence du cinéma de Mizoguchi se fait le plus ressentir, dans un style caractéristique de sa période pré-années 1960. Pendant l'essentiel du récit, le mélodrame se fait discret et aucune trace de misérabilisme ne prend des proportions insistantes : Ginko affronte les épreuves sous la pression de sa condition défavorisée, elle côtoie régulièrement l'infamie (les violences diverses de quelques clients et la dureté globale des conditions de travail) mais elle reste digne. Les lueurs d'espoir ne durent pas vraiment longtemps, à l'image de cette romance avec un client, sincère mais vouée à l'échec, malmenée par les attentes incompatibles de la riche famille du jeune homme.
Shukuzu se caractérise ainsi par ces allers-retours incessants, entre foyer familial et maison de geisha, et d'une maison de geisha à l'autre aux quatre coins du pays. Shindō insiste sur ce point, sans lourdeur, la femme perçue comme une marchandise au début du XXe siècle et la révocation presque totale de son libre-arbitre. Il utilise pour illustrer cela tout le volume disponible dans ces intérieurs japonais, avec de nombreux plans inhabituels, des panoramiques, des plans pris de dessus, mais c'est Otowa encore une fois qui survole le film, avec plusieurs passages inoubliables — les séquences de danse et de chant, et le terrible cynisme du dernier plan, énième répétition d'un cycle de souffrances.
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