La loi du désir
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Dès que j’ai vu l’héroïne, j’étais emballé. Elle jeune, belle, instruite, et pourtant elle accepte son sort par devoir. C’est le destin des femmes dans la Chine des années 1900. Elle va devenir la quatrième épouse, la quatrième femme, dans la quatrième maison du maître, ça promet quelque chose d’intéressant. Dès que j’ai vu les autres épouses, je me régalais par avance. Elle c’est le renard. Beau pelage, port de tête d’impératrice, arrogance, naïveté de la jeunesse, l’innocence, la rage de vaincre aussi, elle a tout plaire, le spectateur est vite conquis, donc moi. Les autres épouses, se sont des vieilles poules, trop mûres, des concubines usées, au cerveau ramolli, car tout le temps enfermées, soumises, vivant sur elles-mêmes, dans la tradition et l’ennui. Elles, se sont les futures victimes du renard de ma fable. Ça va saigner ! Songlian, la nouvelle venue n’est pas décidée à jouer les seconds rôles. Elle veut être la favorite ou rien, elle va les bouffer toutes crues, c’est ce que je croyais. Erreur !
Ce film je l’ai vu il y a près de 15 ans, en 15 ans on oublie des trucs. Il est beaucoup plus subtil et compliqué que ça. Car contre toute attente, on va voir le renard, se casser les dents sur les poules ! Elle est complètement dépassée par la duplicité de ces femmes, Songlian, car expérimentées, elles le sont, et perfides, et la plus dangereuse n’est pas celle qu’on croit. Pire, même la servante semble avoir plus d’arguments à faire valoir, dans le jeu de la séduction du maître, et de la manipulation pour le pouvoir. Elle entrait dans un temple, comme on entre au couvent, elle se retrouve dans un bordel, ou une jungle. Tout le monde manipule tout le monde, en cachette, en sous-main, ça calcule. L’héroïne devient vite un anti-héros, un héros à la renverse. Perfide elle aussi, mais maladroite dans le jeu, inexpérimentée, comme nous, elle ne connaît pas les règles, elle trébuche. Elle commet des erreurs qu’on va dire, « héroïques », qui relancent l’action, pour le plus grand plaisir du spectateur, jusqu’à la catastrophe. Finalement c’est une poule comme les autres, elle deviendra comme les autres. Nous admirons alors un film magnifique sur la désillusion, qui n’est pas l’échec. Sujet difficile s’il en est, la désillusion. La perte des illusions, qui se délitent face à une implacable réalité. Ecarter des courtisanes, et se faire sa place dans le lit du maître, même quand on est jeune et ambitieuse, cela ne se fait pas par un claquement de doigt.
Cette grande maison qui ressemble à un musée où le temps s’est arrêté, elle a la beauté de l’architecture chinoise millénaire, l’ornementation est raffinée, le charme est austère, les lignes rigides, mais c’est beau. C’est beau, et invite au recueillement. Très fort, le parti pris de l’auteur, nous faire partager dès le départ le point de vue de Songlian, d’où notre identification, et notre désillusion à nous aussi. La lumière semble venir uniquement des lanternes, la couleur jaune-orangé est partout, l’automne domine. Et le calme apparent est trompeur, car la vraie action est ailleurs. La caméra fixe ne gêne pas, car la guerre fait rage, ou dans les têtes, et les cœurs. Le massage des pieds, l’heure du repas, l’allumage des lanternes. Le chatoiement des habits, le cendré du satin, très beau. Chaque plan tout en équilibre, beau comme dans un tableau. Et puis vient l’hiver.
J’avais oublié la fin, terrible cette fin. Une fin tout en douceur, comme une porte qui se ferme, qui se passe de commentaires, et aucune solution en vue, sinon la vie qui continue, comme avant. Elle convoque plein de questionnements cette fin. La jeunesse, la modernité, mise à mal par la tradition ? La dénonciation du pouvoir, ou du maître, symbolisé par un homme qui donne tout le temps des ordres, mais qu’on ne voit jamais ? La force totale de la dictature, du système, sur les esprits libres, qui doivent se soumettre ? On peut dire beaucoup de choses. Je la voyais en magnifique renard, mais même le renard ne peut rien contre les règles du jeu. Très beau film. Un classique.
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Créée
le 19 mars 2015
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