Dans un futur plus ou moins lointain, on a encore décidé que les émotions étaient clairement le gros souci de la société et, plutôt que de bosser sur une thérapie de groupe à l'échelle de l'humanité, on a décidé de jouer plutôt à "je t'aime, moi non plus", en se sauçant la tronche à grand coup d'antidépresseurs fournis par l'état. Cool pour qui a des difficultés à se lever le matin, mais pour la plupart d'entre nous, maudits appréciateurs des belles choses, c'est plutôt la fin du business, puisque forcément, l'art est interdit, ça permet d'éprouver des trucs. Du coup, l'art est fini, l'architecture aussi, puisque tout le monde déménage dans des vieilles usines d'ex-URSS. Au passage, on invente l'ecclésiaste Gammaton, un super soldat d'une super église qui super-tue les gens en pratiquant le Gun Fu, un art martial qui permet de tirer ses balles de façon plus efficaces que la moyenne. Yep.
Pas de surprises à l'horizon, le héros, campé par Christian Bale en mode automatique, va découvrir les émotions, pile poil après avoir tué la seule personne qui aurait pu prétendre au titre de "pote", à savoir Sean Bean. Je me demande presque si Equilibrium n'a pas donné vie à cette soudaine volonté d'Hollywood de voir Sean Bean mourir au bout d'une demi-heure de film. Cela a donné lieu à une discussion durant le film : Bean est-il payé au prorata de sa présence à l'écran ? Auquel cas, doit-il tourner dans plus de films pour avoir un salaire décent ? Le monde du cinéma est d'une cruauté sans borne.
Outre cette observation légitime sur les pratiques d'Hollywood, Equilibrium pose une autre question particulièrement complexe : à quel moment passe-t-on de la coolitude la plus consommée au kitsch le plus absurde ? Parce que cela arrive à peu près tout le temps dans le film. Surtout quand il s'agit de mettre en pratique le fameux art de combat des ecclésiastes, cet improbable Gun Fu des enfers. Non seulement cela donne des séquences de tir où le héros prend des poses totalement incroyables, mais en prime, cela donne surtout l'impression que personne n'ose lui tirer dessus. Alors peut-être ai-je découvert ce film un peu tard et je m'excuse, mais nan, j'ai pas réussi à retenir des rires un peu gêné quand Christian Bale finissait par une pose de ninja armé de deux automatiques ses "katas armés". J'accepte de souligner l'originalité de l'idée, la bienveillance de la pratique et même la générosité dans les chorégraphies. C'est sûr, c'est fait avec amour et sans hypocrisie, le mec ayant a priori vraiment cru dans son truc. Mais non, franchement, des katas. Avec des guns. Et le héros qui ne prend plus le temps de se mettre à couvert, de toute façon, les balles l'esquive, il fait du Gun Fu. "Writer and director Kurt Wimmer invented the martial arts style of gunfighting for this movie in his backyard" précise Imdb. Cela veut dire quand même beaucoup, non ?
Outre cette étrangeté du film, il y a ensuite le déroulé de l'intrigue, avec son héros qui découvre les émotions et soudainement, perd tout sens de l'hygiène, commence à tripoter à peu près tout (en commençant par les barres dans le métro, le truc qui te fait découvrir des émotions - et l'herpès). Après quoi, il se met à faire de l'overreacting pour à peu près tout. Bon, le levé de soleil, je veux bien, mais même marcher dans la foule semble lui procurer des émotions que je ne dois pas trop saisir. On m'assure parmi le public que c'est normal et que moi aussi, si j'avais pas eu d'émotions pendant longtemps, je réagirais pareil. Ce doit être ça. Le reste du casting est pas mal non plus dans la réaction disproportionnée. Le chef qui frappe du poing sur la table de colère sans que ça gêne qui que se soit ou le partenaire en mode ambitieux de l'enfer, tout le monde a l'air d'être plutôt décomplexé avec le règlement, au final. A part le héros, donc.
Bon, tout n'est pas si pire. La première démonstration de Gun Fu est franchement pas mal, avec cette idée de mise en scène qui rend le truc très clipesque (bon, on frôle allègrement la limite de l'indigence). Quelques notions dans le script aurait mérité d'être traitées avec plus de respect (l'espèce de romance chelou entre le héros et la meuf dont il a buté le mec, son meilleur pote qui plus est !). L'idée du gamin kapo était amusante aussi. C'est à peu près tout. Sinon, c'est de l'histoire dystopique de base, sans même un retournement de situation finale (à part une toute petite révélation qui en touche une sans secouer l'autre, pour dire).
Ouais, au final, avec 11 ans de retard, le film se place quand même dans la catégorie des nanars pas édifiants - faits avec amour et sans second degré du tout. Tout n'y est pas atroce, mais ça reste quand même extrêmement léger et si l'on adhère pas d'office à son art martial, autant arrêter, car le film insiste lourdement sur ce super pouvoir de super sayan dont dispose seul le héros.