Fruit de cinq années de bricolages dans un garage ; l'une des expériences cinématographiques les plus inconfortables de la Création ; la bande-son la plus démentielle jamais écrite pour un long métrage ; le seul film que feu Stanley Kubrick aurait aimé réaliser... Rien que ça !


Si Eraserhead de David Lynch est à la fois une Oeuvre d'Art, un chef d'oeuvre du Septième, le film culte de toute une génération et l'un de mes préférés il ne peut concrètement se limiter à l'analyse ou au résumé linéaire, même le plus exhaustif. Certains films sont intouchables, inaccessibles, comme en-dehors de tout... Ainsi, tenter d'interpréter le premier film de David Lynch - entreprise a priori amusante, intéressante voire passionnante - reviendrait à tirer des conclusions qui n'appartiendraient qu'à moi. La démarche serait pour moi aussi vaine et absurde que le décorticage du plan-séquence monumental qu'est L'arche Russe d'Alexander Sokourov ou que l'exégèse scrupuleuse, image par image, du Irréversible de Gaspar Noé. Il est clair que Eraserhead est un film dense, complexe voire richissime, d'une rare puissance évocatrice... Je ne mentirai pas en affirmant qu'il m'a énormément apporté, aussi bien sur le plan de l'émotion que sur le plan de l'intellect, que j'ai eu plusieurs interprétations personnelles à partir de lui, qu'il m'a même hanté pendant de nombreuses semaines... Malgré tout j'écris ces quelques lignes non pas pour enfermer ledit chef d'oeuvre dans une analyse limitée mais pour l'ouvrir vers la passion - passion qui, je l'espère, sera communicative...


Puisqu'il me semble que Eraserhead est un film majeur, profondément génial et inoubliable un éloge - même très court - me semble être le seul moyen pour moi d'en parler avec respect et intégrité. Je laisserai donc ma plume agir au gré des images, des souvenirs et des sensations qu'il m'a procuré...


Eraserhead dépasse tout. Il évoque beaucoup. Il parle peu, il n'explique rien. Beaucoup vantent, chez David Lynch, une esthétique du Rêve... C'est à croire que ces derniers n'ont pas vu Eraserhead, probablement le plus terrible des Cauchemars jamais imprimés sur pellicule. L'impression permanente d'une image fabriquée de toute pièce, à la fois chaleureuse, granuleuse et somptueuse... Un son constant dans les oreilles, tour à tour atmosphérique, strident, qui échappe au temps qui passe. La bande-son de Eraserhead est un monument proche de la perfection, tant les couches sonores se mêlent, se superposent, se succèdent avec un Art de l'agencement peu commun... Les acteurs - Jack Nance en tête, hallucinant - composant des personnages grotesques, proférant des absurdités ( la scène du dîner est une anthologie comique en forme de conte macabre ), pétris de mimiques encombrantes, perturbantes pour le spectateur habitué au naturalisme dramaturgique... Montage agressif, qui me surprend à chaque visionnage, subjugué par l'image mais bien incapable d'anticiper la suivante... La forme de Eraserhead est un rictus indélébile, un oeil salace qui vous dévisage pour mieux vous hanter sur la longueur. Eraserhead pourrait se passer de mots, tant le dialogue lui est étranger, inapproprié...


Mais tout de même, voilà. J'ai l'impression d'avoir déjà tout dit, alors que tout reste à dire, à découvrir, à voir ou à re-voir. On pourrait parler des heures de la coiffure hirsute de Jack Nance, du foetus monstrueux pleurant jusqu'à l'infini, de l'épouse geignarde de Henry Spencer, du plombier qui découpe les poulets depuis 30 ans, du petit garçon récupérant la tête de Spencer, du résidu de cervelle capable de gommer le crayon, de la lady in the radiator, jeune fille niaise attendue par Henry... Eraserhead est un peu comme l'ouverture idéale du cinéma de David Lynch : un film qui conjugue à la fois ambitions narratives et recherches formelles, expérimentations atmosphériques et soucis du détail, singularité et intemporalité...


J'ai vu Eraserhead. J'ai aimé, j'ai pleuré de peur et d'angoisse. Mon oeil a vissé l'écran, impuissant devant tant de folie et de génie. J'ai re-vu Eraserhead. Plusieurs fois, comme par addiction, plus par plaisir que par nécessité. Je n'en avais pas vraiment besoin. Une expérience comme Eraserhead ne s'oublie pas : elle s'imprime. Comme un trauma.

stebbins
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le 31 janv. 2021

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