Le dernier film marseillais de Guédiguian, « Gloria Mundi », dressait en 2019 un constat amer, désespéré et totalement déprimant sur la société libérale, gagnée par le repli sur soi. Le cinéaste y déplorait le manque de solidarité grandissant.
Il vire ici à 180° et signe un récit humaniste, une œuvre chorale emplie d’espérance et d’amour, où tous les intervenants sont tolérants, positifs, engagés, solidaires. Rosa (Ascaride) est infirmière dans un hôpital sous tension, militante, elle tente de fédérer les énergies de gauche en vue des élections municipales en les faisant sortir du chacun pour soi ; son fils ainé Sarkis (Robinson Stévenin ) est le convivial patron de bar repaire de tout ce que Marseille compte d’Arméniens, sa fiancée Alice (Lola Naymark) est cheffe de chœur engagée dans une association venant en aide aux délogé·es des immeubles insalubres. Minas, le second fils de Rosa (Grégoire Leprince-Ringuet) est médecin dans un centre de rétention pour les migrants et envisage d’aller combattre en Arménie soutenir le pays de ses origines. Tonio, (Gérard Meylan) frère de Rosa, taxi toujours disponible, est l’un des derniers spécimens communistes de la ville. Et Henri (Jean Pierre Daroussin) est l’intellectuel, poète par qui l’Amour va arriver.
Tous ces gens se débattent au cœur d’un environnement dramatique, violent, impitoyable où les catastrophes se rajoutent aux malheurs : Effondrement d’immeubles vétustes du centre-ville marseillais, pauvreté des délogés, désaccords politiques et incapacité des partis des gauche à s’unir, militantisme épuisé, exténuation du personnel soignant et affaiblissement de l’institution hospitalière, écoles insalubres, guerre entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, incapacité à avoir des enfants, …..
Le problème du film est qu’il déborde de sujets, qu’il papillonne de l’un à l’autre. Tout y passe dans cette chronique trépidante qui effleure ces thématiques contemporaines sans rien en approfondir et sans vrai fil conducteur. On suit des tranches de vie d’un feuilleton mélodramatique dont les personnages semblent réciter des formules toutes faites, toutes prêtes pour un feel good movie. Malgré tout l’estime que je peux avoir pour l’action collective, la solidarité (et Guédiguian), tout cela semble ici vraiment forcé et pas très naturel : les parents d’élèves unanimement enthousiastes à l’idée de repeindre collectivement l’école vétuste; les réunions politiques ressemblant à de gentilles réunions publiques de quartier sans débat (Ascaride sentencieuse et risible « Pour gagner il faut trois choses : un, le programme, deux, le programme, et trois le programme ») ; et la chorale qui reprend allègrement l’inévitable rengaine d’Aznavour « Emmenez-moi ». (Entre parenthèse, un peu gênant de faire chanter « que la misère serait moins pénible au soleil » par des gens qui accueillent des migrants venus d’Afrique !)
Tout ça est éminemment sympathique, mais fabriqué, laborieux, de plus alourdi par certains choix de mises en scène symboliques censés intérioriser les rêveries et l’esprit de Rosa : nage apaisée dans une piscine déserte, récitatif solitaire et nocturne dans un théâtre antique d’une lettre de prison de Rosa Luxemburg, bizarre reprise de la musique du « Mépris » (hommage à Godard ? au générique du festival de Cannes ?)
Guédiguian a 69 ans. Son alter ego Ken Loach vient de signer un excellent « The Old Oak » à 87 ans. Il reste donc quelques années au marseillais pour renouer avec un film engagé autant que poétique, vif et subtil.