C’est à l’Antiquité que pense Robert Guédiguian en écrivant puis en réalisant Et la fête continue !, en témoignent l’attachement au buste d’Homère ornant la place bientôt rebaptisée du 5 novembre, la présence d’un chœur d’abord engagé dans une chanson d’Aznavour – il est beaucoup question de l’Arménie ici – puis dans le chant d’un poème militant rendant hommage aux disparus et aux délocalisés du quartier, le choix d’un amphithéâtre comme lieu de réunion des deux amants sous le feu des projecteurs. Cet ancrage mythologique, sans cesse rappelé par diverses cartes postes et lectures érudites, permet au cinéaste d’intégrer sa réflexion politique dans l’espace de la cité phocéenne : chacune des rues, chacun des bars, toutes les églises et les places de marché parlent politique, interrogent les actions à mener, s’égarent dans le jugement rétrospectif des passées qui n’ont rien amené ; même la commande d’anchois par le fils à sa mère accentue l’engagement militant de cette dernière et l’urgence à laquelle elle fait face à longueur de journée – notons d’ailleurs qu’elle est urgentiste. En cela, la démarche de Guédiguian se situe dans le prolongement du récent et remarquable Adults in the Room (Costa-Gavras, 2019), articulant lui aussi les enjeux cn contemporains de son pays au regard de la Grèce antique. Le refus de protagonistes principaux au profit d’un film choral confère une singularité qui tourne parfois à la caricature : Robinson Stévenin exagère à outrance son rôle d’Arménien revendicateur, Grégoire Leprince-Ringuet surjoue lui aussi le capital sympathie de son personnage.
Tous ont un lien avec l’exil et l’identité métissée, centre de gravité autour duquel gravitent les forces du long métrage : exil physique des Arméniens qui en conduit certains à regretter la terre natale et d’autres à devoir la gagner ; exil symbolique d’une génération qui tend à la retraite et que préoccupe la nécessité d’un passage de flambeau avec la suivante. Le couple formé par Ariane Ascaride et Jean-Pierre Darroussin apporte à l’ensemble une mélancolie lumineuse, romance improvisée qui éclaire les tunnels idéologiques du scénario et nuance l’optimisme naïf des dialogues (« il n’y a ici que des gens bien »).