Après quelques court-métrages bien barrés,Patrick Schulmann faisait une entrée fracassante dans le cinéma français avec ce premier long dont il était réalisateur,scénariste,et dialoguiste.Il en signait même la musique et y jouait un petit rôle.Le film fit scandale en son temps,ce qui est surprenant dans la mesure où les années 70 avaient été riches en oeuvres "choquantes",comme par exemple les premiers films de Bertrand Blier ou "Le dernier tango à Paris".Toujours est-il que "Et la tendresse" fit son effet,au point que Philippe Bouvard,interviewant la comédienne Marthe Mercadier qui ne jouait pas dans le film mais en était coproductrice,dans une émission hebdomadaire télévisée qu'il animait à l'époque,l'accusa d'avoir produit un film pornographique.O tempora,o mores,car ça parait totalement ridicule aujourd'hui,à notre époque où les enfants du primaire matent du X sur internet et où l'on pourrait sans problème diffuser ce film dans les écoles maternelles.Le script est axé sur trois couples bien différents,chacun étant censé représenter un aspect des rapports hommes-femmes en cette période de grands changements sociaux.Il y a le "couple phallocrate" formé de Carole et François,le "couple tendre" que constituent Eva et Luc et le "couple romantique" symbolisé par Julie et Léo.Le réalisateur imprime un rythme soutenu en alternant les scènes courtes impliquant ces trois binômes qui lui permettent d'explorer les relations sexuelles et amoureuses sous divers angles.C'est drôle,enlevé, imaginatif,plein d'idées de mise en scène.François incarne le macho intégral.Homme d'affaires qui a réussi,c'est un obsédé sexuel qui ne voit les choses que de façon utilitaire.Ainsi,il entretient sa maîtresse qui doit en contrepartie rester en permanence à sa disposition.Il ne vient la voir que pour tirer son coup et n'a aucune considération pour elle,ce dont la fille se contente volontiers,déclarant qu'elle préfère vivre ainsi plutôt que d'être exploitée par un patron.Julie et Léo sont à l'opposé.Il s'agit de deux timides empotés qui ont bien du mal à progresser dans leur relation et sont inexpérimentés sexuellement et amoureusement.Clairement,c'est le couple tendre qui a les faveurs de Schulmann,Eva et Luc semblant avoir trouvé l'équilibre entre amour sincère et sexualité épanouie.De plus,ils sont modernes car ils ont renversé les rôles entre la nana qui travaille et assure le financement du ménage pendant que le gars fait l'homme au foyer et s'occupe des tâches ménagères.Ils sont censés représenter la synthèse de la nouvelle société débarrassée des comportements anciens.Parce que le couple romantique est défini comme la préfiguration du couple phallocrate.C'est le même avec quelques années de moins,ce qui se vérifiera à la fin avec l'évolution de Léo.On peut penser ce qu'on veut de cette analyse mais la description de l'attelage parfait formé par Eva et Luc parait un peu trop idyllique,voire utopique,les rapports humains étant toujours plus compliqués que ça,tout comme versent dans l'excès le machisme de François ou la timidité des romantiques.Mais le film fonctionne cependant très bien,les personnages traversant toutes sortes de milieux au fil de séquences amusantes introduisant bien des protagonistes plus bizarres les uns que les autres,jusque dans des physiques hors-normes dignes du cinéma de Mocky.Il est même prophétique sur certains points comme en atteste sa vision d'un féminisme agressif visant à la castration des mâles,ce qui se traduit ici de manière très concrète,ou à des changements sociétaux qui voient actuellement leur aboutissement,ce que montre de façon stupéfiante la scène où François propose à une amie prostituée de la payer afin qu'il lui fasse un enfant qu'il élèverait seul ensuite.La femme est outrée,refuse tout net et dit qu'il ne trouvera jamais une gonzesse acceptant un truc pareil.Quand on voit où la décadence nous a maintenant conduits....Schulmann égratigne également la mode naissante des sondages qui allait peu à peu envahir tout l'espace public,ce qui nous vaut des moments très marrants entre questions inintéressantes et réponses totalement décalées.Il n'est pas le seul à s'être attaqué au problème,d'autres oeuvres de cette époque l'ayant évoqué à l'image du premier film de Jean-Marie Poiré,"Les petits câlins" en 78,ou "Le roi des cons" de Claude Confortès en 81.Les acteurs accomplissent du très bon boulot,à l'exception de Régis Porte,très effacé dans le rôle de Léo.Bernard Giraudeau,qui joue Luc,a déjà tout d'un grand,tandis que les belles Evelyne Dress,Marie-Catherine Conti et Anne-Marie Philipe,la fille de Gérard,sont parfaites dans des registres très différents.Malheureusement,aucune d'elles ne fera une carrière importante.Celui qui emporte tout sur son passage est le génial Jean-Luc Bideau,absolument énorme en mâle alpha grande gueule et sans complexes qui aligne les répliques cultes comme le célèbre "lave-toi les fesses,j'arrive!".Beaucoup d'excellents seconds rôles à forte personnalité peuplent l'arrière-plan,à l'instar d'un Roland Giraud alors peu connu mais déjà très bon,de la jolie Virginie Vignon,spécialiste des apparitions déshabillées,d'Erik Colin,le jeune officier des "Septième Compagnie",du moustachu Etienne Draber,de la très chaude Katia Tchenko,de l'inquiétant géant chauve et barbu Jean-René Gossart,spécialisé dans les emplois de cinglés comme celui qu'il incarnera plus tard dans "Inspecteur La Bavure",ou du gros Alain Flick qui interprète un de ces débiles malsains dont il avait le secret.Dans de plus petites participations,on remarque dans son propre rôle Maurice Favières,animateur de radio très connu à l'époque,le nain noir Désir Bastareaud qui se fera connaître dans la sitcom "Le miel et les abeilles" mais qui s'est surtout illustré dans le porno,ou Christine Abt,une blonde à la carrière météorique qui la verra squatter les comédies bas de gamme telles que "Comment se faire réformer" de Philippe Clair ou "Belles,blondes et bronzées" de Max Pécas.Côté technique,il y a pas mal de gens qui persévèreront dans le ciné comme par exemple l'assistante monteuse Marie-Claude Treilhou qui deviendra réalisatrice.Quant à Schulmann,il livre là son meilleur film et son parcours ultérieur sera jalonné d'échecs parfois compensés par des sursauts comme avec "PROFS".