Et tournent les chevaux de bois – Ride the pink horse
Et tournent les chevaux de bois de Robert Montgomery est une oeuvre intéressante: un polar légèrement teinté de peinture sociale et d’un nuage de poésie fantastique. Un film qui ne fait aucune concession au spectateur et qui « précurse » un peu la poésie fantasque de La nuit du chasseur (relations innocence enfantine et perversion adulte) et l’atmosphère symboliste de La soif du mal (poisse à frontière mexicaine du mal gringo). C’est un film à petit budget (pas une série B puisqu’il dure 101 mn) qui figure à juste titre dans les quelques bonnes anthologies consacrées au film noir (les autres sont donc à éviter).
C’est un défi artistique à Hollywood, par un jeune réalisateur qui était déjà une vedette en tant qu’acteur. Cest un véritable et donc dangereux film d’auteurs ; ce dernier terme au pluriel donc car on relève que le script est co-signé par Ben Hecht et Charles Lederer.
• Le premier était simplement l’un des meilleurs et des plus prolifiques romanciers (Je hais les acteurs), nouvelliste et scénaristes de cette époque (il avait collaboré avec Sternberg, Hawks, Ford, Wyler, Siodmak, Preminger, Hathaway, Hitchcock, entre autres). Parmi le nombre incroyable de films auxquels il a participé, on peut noter quelques petits films du genre « Noir » peu connus mais pas mauvais du tout comme Scarface, Le carrefour de la mort, Gilda, La maison du Dr Edwards, Les enchaînés, La proie, Un si doux visage.
Dans des genres encore plus confidentiels : « La chevauchée fantastique » et « Autant en emporte » le vent figurent aussi dans la liste (Cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Ben_Hecht
• Le second, Charles Lederer, un peu l’élève et l’assistant de Hecht, signa les scripts notamment de «Les hommes préfèrent le blondes » et « Les révoltés du Bounty (1962). Il est connu aussi pour avoir été collaborateur et grand ami d’Orson Welles.
Il est à signaler que la productrice du film, Joan Harrison, qui deviendra plus tard plus que la secrétaire d’Hitchcock, a également participé à l’écriture mais ne figure pas au générique à ce titre.
Tout ça pour dire que Robert Montgomery s’était bien entouré.
Juste avant ce « Ride the pink horse », Robert Montgomery avait collaboré anonymement, en 1945, avec John Ford à la réalisation de « They Were Expendable » (Les sacrifiés) où il partageait la vedette avec John Wayne. Puis, il fut, en 1947, le troisième Philip Marlowe (après Dick Powell et Humphrey Bogart) dans « La dame du lac » qui fut son vrai premier film en tant que metteur en scène. Après « Et tournent… », il réalisa encore trois films que je n’ai pas vus (je ne désespère pas).
Pitch de « Et tournent les chevaux de bois » : Lucky Gagin, un américain, débarque à San Pablo, petite bourgade mexicaine afin de rencontrer un certain Hugo, gros truand surveillé de près par le FBI, qui a assassiné un ami à lui. Gagin pense le faire chanter à l'aide d'un chèque fort compromettant. La ville est en fête et le drame va se jouer autour du manège de chevaux de bois.
Un poil lent, peut-être pas du fait du montage mais plutôt du jeu des acteurs. Hawks, par exemple, demandait à ses comédiens de jouer plus vite que la vie réelle car il savait que le spectateur tente instinctivement de deviner l’image et l’action à venir. Hitchcock imaginait des plans de diversion pour perturber le spectateur. Ici, la mise en scène est plus sage. On ne s’ennuie pas mais on peut ressentir un brin d’impatience parfois. En même temps, ce tempo favorise le sentiment d’humanité des personnages, notamment dans la relation de la jeune Pila avec Gagin ; ça aide à la vraisemblance. Il n’y a aucune mièvrerie dans cette relation et l’homme, d’abord un peu suffisant, voire méprisant, s’attache sans y croire à cette jeune fille curieuse (dont on ignore l’âge) qui se veut son «ange gardienne». Leurs différences d’âge et de culture forment une barrière infranchissable pour une histoire d’amour mais l’émotion, elle, passe à travers cette barrière.
Les autres personnages forment l’équipage classique et toujours bienvenu des polars noirs, bandits brutaux et cyniques, femme venimeuse, policier rusé, etc. Tout pour plaire donc.
Le personnage du patron du manège est l’ivrogne philosophe qui représente le peuple pauvre, « àquoiboniste » et pourtant joyeux.
Je n’ai pas remarqué d’invraisemblance dans l’histoire et c’est peut-être aussi ce qui le rend moins vif que d’autres bons polars qui, souvent, font passer quelques invraisemblances en imposant un rythme rapide, espérant ne pas laisser au spectateur le temps de les relever.
Je ne parle pas de la photographie de Russell Metty (Le criminel de Welles, Spartacus de Kubrick) , qui doit être bonne, car la copie que j’ai visionnée était loin d’être parfaite.
En conclusion, ce curieux manège noir de chevaux de bois roses est une affaire qui tourne... comme un manège.