Été 85 a tout de la promesse trahie. Certains espéraient découvrir un Call Me By Your Name à la française, d’autres un thriller maritime aux allures de Plein Soleil. Le nouveau film de François Ozon n’a jamais prétendu être l’un ou l’autre, cherchant sa propre voie au carrefour d’une romance estivale onirique et d’un drame policier plus terre-à-terre. Le problème, c’est qu’Été 85 n’est pas très harmonieux par son mélange des genres, par son style, ses tonalités, et sonne assez faux dans sa globalité.
Si la première partie du film, de la rencontre entre David et Alexis à l’apothéose de leur relation, jusqu’à l’arrivée de l’événement fatidique (maladroitement annoncé dès la scène d’introduction), est plutôt prometteuse et parcourue de quelques jolis moments (le sauvetage en mer, les balades en moto, la soirée en boîte de nuit), le dernier tiers, consacré à l’intrigue policière, laisse un goût amer d’indifférence. Remontant son récit sous forme de flash-backs narrés par le personnage d’Alexis, Ozon prend le parti de rembobiner l’histoire des deux héros pour nous raconter comme Alexis en est arrivé là, au tribunal, avec un tragique événement sur la conscience. L’originalité d’Été 85, malgré ce procédé narratif éculé dans le cinéma policier, consiste à ne jamais vraiment nous dire si les images sous nos yeux sont les « faits réels » de l’histoire ou bien les faits remodelés par la mémoire d’Alexis, tels qu’il décide de les raconter à la justice avec plus ou moins de franchise et d’omissions.
Malheureusement, Ozon ne fera rien de cette ambivalence possible entre fiction et réalité à l’intérieur de son récit, évacuant même le problème à plusieurs reprises par quelques phrases qui ont tout de l’aveu de faiblesse déguisée en tournures accrocheuses (« Est-ce qu’on invente toujours les gens qu’on aime ? », « il faut savoir échapper à son histoire » : qu’y a-t-il derrière ? doit-on comprendre qu’Alexis romance ce qui lui est arrivé pour échapper à quelque chose ? À sa condamnation, peut-être ? « Inventer les gens qu’on aime », c’est joli, mais c’est un peu la base de la relation à autrui, avec ou sans amour, non ?). En outre, une fois que le présent du récit, c’est-à-dire le moment du tribunal qui ouvre le film, est rejoint dans le dernier tiers par les flash-backs, le rythme s’écroule totalement.
Le montage alterné, l’écriture des scènes et encore plus des personnages devient anarchique et semble ne plus savoir où aller. Le rapport à la mort, tant appuyé tout le long du récit, tant verbalisé par David, tant surligné en gras par les posters de momies qui ornent les murs de la chambre d’Alexis (à croire qu’il n’a qu’un seul centre d’intérêt, qu’un seul trait de caractère qui le définisse), ne mènent nulle part. Trente minutes sur le deuil sans que les discussions et autres éléments ayant participé à l’écriture des personnages ne servent à la moindre réflexion. D’où sortent les crises (à la morgue, au cimetière) ? Que veulent-elles dire ? En quoi le fait qu’il soit fasciné par la Mort avec un grand M apporte quoi que ce soit à sa façon de vivre la mort d’un proche ? De même, le coup du pari « j’irai danser sur ta tombe », qui est l’idée centrale du film, tombe à plat du fait qu’elle ne trouve ancrage dans aucun élément de l’histoire (ni dans le rapport de David à la mort de son propre père, ni dans les relations difficiles qu’Alexis entretient avec ses parents, ni dans leur histoire d’amour à tous les deux). C’est un pari gratuit, qui ne semble être là que pour sa dimension romanesque et vaguement poétique. Mais même la scène en question sonne faux, parce que le concept de cette scène, depuis le début, sonnait faux, n’était rattaché à aucune racine émotionnelle pour les personnages (et encore moins pour le spectateur), sinon à une promesse entre amis. Mais sans signification intrinsèque à un tel geste, la promesse-défi aurait pu être n’importe quoi d’autre que ça n’aurait rien changé, finalement.
Du côté des personnages secondaires, on souffle le chaud et le froid. Kate est franchement inutile, du début à la fin, sinon pour servir d’élément déclencheur à l’engueulade entre Alexis et David (qui constitue l’une des rares scènes très justes et captivantes du film, soulignons-le), et pour servir d’intermédiaire au réalisateur en glissant dans sa bouche quelques maximes de vie bien tournées. Le professeur de lettres incarné par Melvil Poupaud est aussi cliché et inutile que le sous-arc narratif tout entier dans lequel il intervient, concernant les doutes d’Alexis quant au futur de sa scolarité. Cela n’apporte rien, et n’épaissit qu’artificiellement un protagoniste décidément vide, lisse, insipide (bien qu’incarné avec talent et émotion par Félix Lefebvre). Les parents d’Alexis sonnent assez juste, mais là encore traversent le film tels des fantômes : Ozon multiplie les scènes où le père, la mère montrent à Alexis qu’ils sont là pour lui, sans que ce dernier ne veuille s’ouvrir à eux. Cette relation de non-communication n’évoluera jamais vraiment, et une scène au début aurait suffi pour montrer la solitude du personnage, voire sa perdition existentielle. Le film se répète énormément, pour tout, tout le temps, sans ne jamais évoluer significativement. La mère de David, enfin, est insupportable. C’est sans doute son rôle qui est écrit ainsi, sorte de veuve excentrique et lunaire, gênante et intrusive ; mais l’interprétation de Valéria Bruni-Tedeschi est si outrancière qu’on ne croit pas un seul instant à son personnage – et encore moins à ses larmes ou sa colère.
Été 85 laisse un amer goût d’inachevé, de coup manqué, alors qu’il avait pour lui une jolie photographie, une bande-son très nostalgique mais qui fonctionne à tous les coups, un duo d’acteurs talentueux (on espère revoir Benjamin Voisin le plus tôt possible) à la complicité palpable, ou encore une intrigue policière sur fond d’idylle estivale alléchante. Une promesse trahie, parce que mal écrite, ou trop peu, avec une fin bâclée presque gênante de platitude, et une construction narrative trop artificielle à l’image de ses personnages. Une promesse trahie, parce qu’on a l’impression qu’Ozon nous balance des pistes d’exploration sans aller plus loin (la transidentité, la répétition des mêmes schémas de relations toxiques, l’acceptation de l’homosexualité dans la cellule familiale, la porosité du réel et l’embellissement du passé, etc.), voulant parler de beaucoup de choses pour n’approfondir presque rien – pas même son ambiance eighties clichée et sur-stylisée qu’on ne sait plus si elle participe volontairement à l’onirisme des scènes remémorées, ou si elle relève plus simplement d’une vision nostalgique assez discutable.
À l’image de David fonçant à toute vitesse sur sa moto, cherchant à rattraper la bulle d’intemporalité qui lui donnera l’impression d’exister, Été 85 n’offre jamais l’émulsion grisante de la vitesse à laquelle peut aller un amour de vacances, l’ivresse du déséquilibre et de la chute que toute relation suppose, et semble condamné à demeurer à distance de cette bulle à cause des insuffisances d’un moteur dont le destin, malgré une mise en route réjouissante, est d’exploser à mi-parcours au détour d’un virage mal anticipé.
[Article à retrouver sur Le Mag du ciné]