Je ne me suis pas ruée dans une salle obscure pour aller voir ce film. La petite bande "américano bobo versaillaise" (Gondry, Kaufman, Air, Phoenix, Coppola, Jonze, Dunst...) m'agace un peu.
Je me rattrape sept ans plus tard avec le DVD et franchement, j'ai bien fait. Si ce n'est le personnage de Clementine Kruczynski, un peu trop excessif à mon goût, dans son côté loufoque, excentrique, une espèce de Punky Brewster, mâtinée de Fifi Brindacier, mais version femme, le film est une réussite.
Au-delà des thèmes du désamour, de l'usure au sein d'un couple et de la souffrance liée à la rupture, j'ai vu dans Eternal Sunshine of the Spotless Mind une réflexion profonde et intelligente sur la perte de l'identité, ou disons plus exactement, une réflexion sur l'effacement du souvenir comme perte de l'âme.
L'idée du scénario est tirée de deux ouvrages de Boris Vian : L'herbe rouge et L'Arrache-cœur. Pour ma part, j'ai immédiatement songé à une très belle nouvelle de Truman Capote, Monsieur Maléfique*. L'histoire d'un homme qui, moyennant des espèces sonnantes et trébuchantes, achète les rêves des autres. Un autre nom a surgi des tréfonds de ma mémoire : Henri Bergson. Ce dernier écrit Matière et Mémoire** en réaction à un livre de Théodule Ribot, Maladies de la mémoire, lequel soutient que le souvenir serait localisé dans le cerveau et par conséquent, matériel. Bergson, en distinguant l'âme du corps, la "mémoire pure" de la "mémoire habitude", s'oppose à cette réduction de l'esprit à la matière.
Le Dr Howard Mierzwiak, chargé d'effacer les souvenirs amoureux des deux protagonistes, est l'incarnation parfaite d'un Théodule Ribot. Ceux-ci une fois localisés dans le cerveau de ses "patients" ("cobayes" ?), ils sont purement éradiqués. Par extension, le réalisateur devient un prolongement du savant, puisqu'il "matérialise" les souvenirs de Joel Barish.
Plutôt que d'affronter l'échec amoureux et la souffrance qui l'accompagne, Clementine et Joel choisissent l'ellipse. Mais, ils vont très vite se rendre compte que le déni à un prix, qu'agir de manière "impulsive" n'est pas sans conséquences. Et c'est bien de cela qu'il s'agit : Barish, devenu son propre ennemi en acceptant la solution "de facilité" va se démener, se battre contre une mémoire qui lui fait peu à peu défaut. Non pas tant pour reconquérir celle qu'il aime, que pour ne pas rompre ce lien entre corps et âme. Pour ne pas perdre complètement cette mémoire dite "pure", celle du passé, des souvenirs, celle qui le constitue.
Je n'ai pas vu dans la fin du film un "happy end". Plutôt un moment d'apaisement : "Attends, attends un moment". Finie l'impulsion, place à la réflexion.
Un grand bravo à Elijah Wood, les rôles de petits cons, salauds et vachards lui vont bien (sa prestation dans le dernier "clip" des Beastie Boys le confirme).
Et puis, le titre du film, emprunté à un poème d'Alexander Pope est bien joli :
"How happy is the blameless Vestal's lot!
The world forgetting, by the world forgot;
Eternal sunshine of the spotless mind!
Each pray'r accepted, and each wish resign'd."
"Que le sort d'une Vierge peut exciter l'envie !
Vertueuse, elle mène une tranquille vie ;
Des esprits bienfaisants, pleins d'innocents mensonges,
Font naître et voltiger ses plus aimables songes."
* Un arbre de nuit et autres histoires, L'étrangère Gallimard, traduction de Serge Doubrovsky
**http://fr.wikipedia.org/wiki/Mati%C3%A8re_et_m%C3%A9moire