Black giant wrestling swan
L’expression «perle rare» s’applique mal à ce film car, rare en effet, il n’est aucunement une perle, mais pour ne pas l’insulter—la sublime Jennifer Connelly l’enlumine par sa grâce angélique—je le qualifierai de «curiosité». Sorti en DVD seulement au Japon et aujourd’hui largement oublié, quoique accessible sur Youtube, ce métrage reste obscur tant dans le paysage cinématographique qu’intrinsèquement, de par son ambiance étrange et onirique, privilégiant l’atmosphère à la rationalité du scénario (un leitmotiv important des films italiens, j’ai remarqué).
L’histoire, en s’inspirant du «Lac des cygnes», n’est expliquée que de façon lacunaire, et je pense qu’elle doit être appréhendée en conte merveilleux. Voyez: un directeur d’opéra fantôme et sa troupe se servent d’une jeune fille, Claire, pour réaliser une représentation du «Lac des cygnes» avec une fin malheureuse et non simulée; l’esprit de Natalie, une ballerine ancienne amante dudit directeur, prend possession de Claire, mais heureusement Jason, un jeune homme rencontré quelques jours plutôt, tombe amoureux d’elle et travaille à briser l’enchantement. Du conte merveilleux tout craché, où l’amour vrai permet de franchir les obstacles successifs et libère des chaînes du mal.
Ainsi la trame abonde d’invraisemblances et d’incohérences, pourtant en phase avec le traitement. Le directeur et son serviteur dirigent une école de ballet et interagissent avec d’autres personnages, mais semblent avoir déjà vécu au siècle précédent, sont-ce des réincarnations? La romance, entre cette Jennifer venue d’Amérique à Prague pour tenter de devenir ballerine et abandonnant sans avoir essayé et le jeune homme, accompagnant son oncle horloger sans être emballé par la passion de celui-ci, se développe avec tout le mièvre et qu’on peut imaginer (et une tonne gluante en surplus), et n’est pas très crédible. Les personnages semblent flotter sans consistance, sans lien avec le monde. Les lieux y sont adaptés, une maison abandonnée et un opéra délabré hors du temps.
Quant aux acteurs, évidemment Jennifer joue bien (en plus d’être belle) et Claire et Natalie; l’une est innocente et radieuse, l’autre absente et complétement absorbée dans sa réalité. Gary McCleery c’est déjà moins bien, il interprète une sorte de cassos sympathique, au visage espiègle et benêt en même temps; honnête, mais rien de remarquable, pas étonnant qu’on ne l’ait guère vu autre part. Charles Durning est le plus vivant du trio, puisque des épisodes comiques lui sont dédiés, et je me suis surpris à souhaiter voir un spin-off sur l’oncle horloger... mais ça c’est à cause d’un gros problème du film, plutôt que grâce au génie humoristique.
Le fait est que, même si on est habitué au contemplatif, on s’emmerde! Le rythme est torpide, s’enlise dans des visqueux non-événements, languit dans le non-suspense; je veux dire, le scénario est certes simple, mais sa corde n’est pas tendue ou, pour prendre une comparaison plus excitante, sa peau se bosselle de cellulite. La photographie, de plus, ne se démarquant déjà en rien, s’appauvrit excessivement aux moments clés.
Je ne peux donc pas vraiment recommander ce film à quiconque, ni aux spectateurs voulant comparer avec Black Swan (ici, les thèmes et le ton diffèrent, et globalement présentent peu de profondeur), ni aux fans de Jennifer sauf les plus hardcore (parce que ceux-là vont regarder nonobstant), ni même à ceux qui seraient leurrés par la perspective d’un cauchemardesque combat final contre un cygne noir géant (oui, un cygne noir géant!), puisque ce dernier reste largement hors cadre, sans doute par ridicule achevé du truc. Personnellement, c’est le détail que j’ai retenu, et qui rend unique ce métrage (là je le dis calmement, mais au moment de le voir pour la première fois je criais «oh putain, oh putain!» et tapais dans les mains comme un attardé).
Par conséquent, 2 points pour l’ambiance de merveilleux soignée, 1 point pour Jennifer, 1 point pour le cygne noir géant.
P.S. Un autre «effet spécial» mérite que je le mentionne ici, puisque j’ai pas pu le caser ailleurs. À un moment, Claire se retrouve sur une scène d’opéra vide, et un plan la montre observer le parterre vide. Sauf que toute la profondeur de champ est peinte sur un rideau, mis sûrement à l’arrache: des plis énormes le trahissent et rendent la scène décalée.