Eugénie par pierrick_D_

Eugénie,belle jeune fille vivant aux environs de Berlin,habite avec le veuf de sa défunte mère un manoir isolé.Progressivement,elle découvre la vraie nature de son beau-père,écrivain renommé et respectable en apparence,et serial killer sadique en privé.Fascinée par la personnalité de cet homme,elle devient sa maîtresse et sa complice dans le crime.Jesus Franco Manera,dit Jess Franco,fut des années 60 aux années 90 le pape de la série Z européenne,réalisant à la chaîne des dizaines de nanars,souvent produits par l'acrobatique firme Eurociné dirigée par Marius Lesoeur et son fils Daniel.Franco,rompu aux budgets misérables et aux bricolages de bouts de ficelles,tournait généralement vite et mal,livrant des oeuvres bizarres et mal foutues ayant la plupart du temps pour objet de montrer du cul.Il a même fait un certain nombre de pornos sous le pseudo de Clifford Brown.Cependant,ça n'empêchait nullement le bonhomme d'afficher une certaine prétention et de se considérer comme un véritable artiste.Il est vrai qu'il cumulait souvent les fonctions de réalisateur,scénariste,acteur et parfois même musicien.Compte tenu de son terrain de prédilection,il n'est pas étonnant qu'il se soit intéressé à Sade.Ah,François Donatien,marquis de Sade et alibi culturel bien commode pour les galériens du bis érotique!C'est pas du cul,c'est de la littérature,voyons!Donc notre ami Jess,après avoir adapté en 68 "Justine ou les infortunes de la vertu" et en 69,année érotique comme chacun sait,"La philosophie dans le boudoir",s'attaque en 70 à la nouvelle "Eugénie de Franval",extraite du recueil "Les crimes de l'amour".Inutile de préciser que,malgré ce qu'affirmait Franco,il ne s'agit pas d'une adaptation fidèle au texte du Divin Marquis.Cette nouvelle est d'ailleurs,contrairement à beaucoup de ses écrits,exempte de scènes sexuelles,ce qui est loin d'être le cas du film,dont c'est l'objet principal.La différence la plus visible au premier abord est que l'histoire a été transposée dans les années 70.On peut penser que la raison en est surtout économique,car le financement d'un film d'époque coûte un bras.Mais les trahisons sont multiples et plus profondes,la principale semblant être le lien père-fille unissant Eugénie et Radeck,ce dernier étant ici le beau-père de la demoiselle,alors que chez Sade Franval était bien le père biologique d'Eugénie.Franco a donc reculé devant la transgression ultime et édulcoré ce qui rendait le livre scandaleux,à savoir la description d'un inceste.Pas de meurtres non plus chez Sade,même si les amants maudits tentent d'éliminer la gênante mère de la jeune fille.Seul l'assassinat de Jacques,l'amoureux d'Eugénie,par Radeck,correspond à peu près à celui de Valmont,séducteur homonyme du débauché des "Liaisons dangereuses".Mais dans le film,Eugénie est éprise de Jacques,alors que dans le bouquin elle n'aime pas Valmont qui doit l'enlever pour l'emmener avec lui.Pas non plus chez le Marquis de mystérieux personnage qui espionne le couple,même si celui-ci rappelle le Clervil du livre,incarnation de la mauvaise conscience de Franval.Enormément de différences donc,et pas des petites,et il y en a d'autres.Cependant,le film a des qualités et se situe dans la filmo du réalisateur espagnol dans ce qu'il a fait de mieux.Bien sûr,on retrouve certaines tares inhérentes aux nanars,comme l'image cradingue ou la musique d'ascenseur sirupeuse typique du softcore de l'époque,mais dans l'ensemble Franco s'en tire pas mal.Il maîtrise son récit,le montage est cohérent,les cadrages et les mouvements d'appareils corrects et bien pensés,les intérieurs bénéficient d'une décoration bien composée.Les extérieurs proposent de beaux plans de paysages allemands enneigés et surtout Jess réussit à installer une ambiance érotique malsaine,scrutant l'évolution du personnage d'Eugénie et de ses rapports avec Radeck passant de père-fille à maître-élève,puis amant-amante,et pour finir criminels associés.Les jeux de plus en plus dangereux de ce couple diabolique vont le conduire à sa perte,Eugénie finissant étrangement par tomber amoureuse d'un gommeux moustachu qui a des posters de Che Guevara dans sa chambre,référence seventies s'il en est,alors que l'héroïne de Sade ne connait pas le même sort et en plus ne meurt pas.Radeck et Franval,par contre,succombent de la même manière.La distribution est franchement médiocre,à commencer par Franco lui-même,qui est un acteur épouvantable mais aimait bien s'octroyer des rôles dans ses films.Seule Alice Arno,grande habituée de ce genre de productions,exécute une prestation honorable en mannequin pour photographes vicelards.Fort heureusement le couple vedette est remarquable et porte le film.Le suisse Paul Muller,vétéran du bis,est un Radeck parfait,exprimant sous les dehors distingués du mec la dinguerie qui l'habite.Et puis il y a la magnifique beauté Soledad Miranda,opérant ici sous pseudo,qui livre une énorme performance dans l'interprétation d'un personnage complexe mêlant vice et innocence de manière puissante et bouleversante.Notons que l'actrice passe la majeure partie du film nue,ce qui est un plaisir pour les yeux,et que lorsqu'elle est habillée,ses tenues sont si suggestives qu'elle est aussi excitante qu'à poil.Félicitations donc aux stylistes et costumiers du film.Malheureusement,Soledad connaîtra un destin tragique,à l'instar de son personnage,mourant peu après le tournage dans un accident de voiture, à moins de trente ans.Sa carrière prenait une mauvaise tournure,vu qu'elle venait de tourner huit films avec Franco en un an,devenant une habituée du bis érotique.Les nombreuses scènes de nudité du film permettent de constater qu'en ce temps-là l'épilation n'était pas du tout à la mode.