Eva en août de Jonas Trueba est une petite pépite. Poétique et terriblement rafraîchissant, ce portrait de femme est l’un des plus beaux regards que nous offriront les salles de cinéma lors de cet été 2020.
Durant une discussion matinale, Eva raconte à une amie qu’elle n’avait pas vue depuis longtemps, qu’elle passe sa journée à se laisser porter par les évènements. C’est un peu la définition même du film, Eva en août : voir une jeune femme espagnole de 33 ans, profiter de la première quinzaine d’août à Madrid, en se laissant guider par les rencontres impromptues et les discussions en terrasse. Un vent d’air frais aussi intrépide que pudique, qui dessine avec un grand talent le regard sur elle-même d’une jeune femme en construction. Nous n’avons pas trop d’éléments sur Eva ni sur ce qu’elle fait dans la vie, ni sur son passé sentimental. Cela semble voulu, sachant qu’Eva ne semble pas forcément à l’aise pour parler d’elle, en plein doute sur ses ambitions et sa destination.
De jour en jour, dans un Madrid aussi intimiste et fiévreux, elle rencontre un ancien ami dans un musée, un ex devant la billetterie d’un cinéma, des jeunes femmes dans une salle de cinéma, des hommes au cours d’une soirée alcoolisée, un homme isolé sur un viaduc ou même une amie artiste de rue dans son propre bâtiment. Avec un naturel qui ressemble à celui de Rohmer voire même à celui de Kechiche pour certaines séquences de solitude introspective, Jonas Trueba nous immisce dans ce qui ressemble à une plongée des plus délicates dans la vie d’Eva et les premières lueurs estivales. Mais alors qu’Eva fait partie quasiment intégrante de tous les plans du film, il est donc difficile de ne pas s’attacher à cette femme qui s’interroge notamment sur la définition même d’être « une réelle personne ».
La comparaison pourrait paraître un peu bancale, mais Eva en août, fait parfois penser à Oslo 31 août de Joachim Trier : non pas dans le coté mortifère et suicidaire de la chose, mais plus dans cette captation de sentiments, cette volonté de s’affranchir durant une période propice à redevenir soi-même, et dans cette émotion qui caractérise une nouvelle trentenaire qui se demande si le train du bonheur et de la chance vont pouvoir repasser toquer à sa porte.
Ce qui dans le cas d’Eva en août, donne naissance à des moments doux et tendres lorsqu’on écoute des jeunes femmes bavarder sur la grossesse et les « chakras » féminins, ou plus mélancoliques sur le fait de se sentir libre lorsqu’on n’a jamais pu quitter le nid familial et la ville de son enfance. Pour Jonas Trueba, comme il l’indique en début de film, lors d’un dialogue entre Eva et l’ami qui lui délègue l’appartement, l’objectif de l’œuvre n’est pas tant de faire un compte rendu social et sociétal de l’Espagne, mais plus de s’accaparer les us et coutumes de la comédie et du portrait pour apercevoir de près les notions de féminité et de ce qu’est être une femme de nos jours.
Le spectateur suit avec un plaisir non dissimulé plus ou moins le même parcours que l’héroïne en question : déambuler dans les ruelles pleines de charme d’un Madrid estival et découvrir un panel de personnes aux aléas bien distincts, pour s’appréhender soi-même d’une nouvelle manière. Au gré de ses rencontres, le film ne tombe pourtant jamais dans la philosophie de comptoir ou dans la thérapie moribonde, mais au contraire, est d’une fraîcheur et d’un réalisme qui font tout l’envoûtement d’Eva en août. Toujours juste dans son regard, même visuel, toujours délicat dans sa manière de concevoir les contradictions de son personnage, toujours fin dans sa facilité à faire nouer ces nombreuses nouvelles relations, et toujours fugace pour nous happer dans ces nuits madrilènes, Eva en août est un immense coup de cœur.
Article original sur LeMagduciné