Mélo apaisé
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Dire que je suis restée sur ma faim serait un euphémisme. J’attendais que le film commence au moment où il s’est terminé.
Pourtant, je n’ai rien contre les films contemplatifs, et quand j’y réfléchis il se produit malgré tout un certain nombre de choses dans Every Thing Will Be Fine. La gestion du rythme, cependant, est très étrange, et créé une impression de dilution totale.
Je pense que c’est partiellement dû aux unités de temps définies par les ellipses. L’histoire, en effet, se déroule sur une période de dix ans, avec à chaque fois des ellipses de plusieurs années. En soi, je n’ai pas de problème avec le procédé, il est même nécessaire pour rendre compte d’une ligne de temps aussi longue. Il faut néanmoins admettre qu’il a pour effet secondaire de donner une impression d’anecdotique, alors même qu’il vise à ne montrer que l’essentiel, les moments-clefs.
En outre, comme il faut à chaque fois se réinvestir dans un nouveau contexte et présupposer des évènements qui se sont inscrits dans les années de vide, on a du mal à ressentir l’intensité de ce qui nous est donné à voir, puisque c’est en fin de compte tout juste une exposition en creux des évolutions qui sont advenues. Il ne faut pas penser que chaque unité de temps comporte une unité d’action, ce sont juste des points dans le temps où l’on fait un état des lieux à l’occasion d’un évènement en lien avec notre « problématique de base », mais dont on ne peut évaluer l’importance dans le contexte du moment où il a lieu.
Oui, c’est cela, la première partie du film fonctionne non pas seulement comme un point de départ, mais comme un tamis avec lequel on va filtrer le futur, pour n’en retenir que les occurrences de cet événement originel. Cela nous donne tellement de recul que l’on se retrouve dans une position d’analyste, sans que l’on puisse véritablement se connecter aux personnages. En tant que chargée d’études, cela me donne la même impression que de sortir sur un tableur une ligne de données sur un individu X. J’ai beaucoup d’informations transversales sur Monsieur X, je suis capable de décrire les éléments essentiels de sa vie et de sa personnalité, mais pour autant je n’ai aucune connaissance de qui il est vraiment, de la complexité de sa personne et de sa trajectoire, et je serais incapable de le reconnaître si je devais discuter avec lui.
Pour un exemple qui parlera sans doute à plus de gens, c’est ce que j’appelle « l’effet Silmarillion » (c’est arbitraire, il y a bien d’autre exemples). Dans le Silmarillion, Tolkien développe une épopée démiurgique. Pour nous raconter l’évolution d’un monde sur plusieurs millénaires, il est évident qu’on est très loin du détail, on ne nomme que très peu de personnages et ils n’ont guère qu’une fonction « utilitaire », pour faire avancer la narration. J’ai l’impression que Every Thing Will Be Fine, c’est l’effet Silmarillion adapté à une trajectoire individuelle : chaque action a pour vocation de faire état d’une évolution, mais on ne s’approche jamais assez près pour toucher du doigt les personnages. Et autant cela se justifie dans le conte, autant cela produit un effet très bizarre avec une trajectoire de vie.
Pourtant, ce n’est pas faute de nous fournir des gros plans de face d’une grande force. Ni d’avoir des dialogues articulés à l’excès, où la lenteur d’élocution devient vite horripilante. On dirait que la mise en scène nous hurle de regarder de près, d’écouter attentivement, au point que l’on a presque l’impression de rentrer physiquement dans les personnages… mais ça ne suffit pas à nous faire rentrer émotionnellement. En fin de compte, je me suis ennuyée. Et bien que tous les évènements qui nous sont montrés soient pertinents, j’étais toujours dans l’expectative. D’ailleurs, oui, c’est le mot : on me montrait, on ne me racontait pas. C’est sans doute un parti pris. Mais moi, je suis restée en dehors.
C’est comme appeler un vieil ami de fac tous les deux ans pour voir comment il se porte, parce que tu viens de tomber sur une vidéo qui t’a fait penser à lui. Il te dit en deux phrases où il en est dans sa vie, puis passe le reste à te raconter sa journée avec sa femme en t’apprenant en même temps qu’il est marié avec un gosse. Mais au fond, tu t’en fous, parce que tu n’as déjà plus la moindre idée de qui il est. Vous n’irez jamais prendre ce café le week-end prochain.
Créée
le 11 mai 2015
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