Mélo apaisé
Sept ans après son dernier film de fiction, et après deux documentaires, le grand cinéaste allemand Wim Wenders revient à la fiction en 2015 avec Every thing will be fine, un mélodrame qui sait...
Par
le 14 avr. 2020
15 j'aime
Voilà tout juste sept ans que le réalisateur allemand ne s'était pas adonné aux films de fiction. Après l'échec commercial de Rendez-vous à Palerme en 2008 (passé inaperçu en France en raison d'une distribution scandaleuse), Wim Wenders avait comme à son habitude alterné avec le film documentaire en signant deux chefs-d’œuvre, Pina en 2011 et Le Sel de la Terre tout fraîchement primé aux Césars, en 2014. Si celui-ci excelle dans le genre documentaire depuis maintenant des décennies, l'inspiration semble paradoxalement défaillir quant à ses travaux dans le fictionnel, ses derniers grands films avaient certes mis la barre très haut, mais ils prennent de l'âge et le public qui s'était tant émerveillé devant l'immense tendresse de Paris Texas commence à sérieusement s'impatienter... Le génie du Meister n'a certainement pas disparu, non, il s'est simplement dispersé, comme celui de Gondry et tous ces bricoleurs voraces sans cesse à la recherche de moyens d'expression nouveaux, du cinéma de demain. Le problème avec les expériences, c'est qu'elles sont extrêmement périlleuses, il faut en effet de nombreux loupés avant de trouver l'alchimie recherchée.
Avec Everything will be fine l'alchimie est encore très loin, Wenders place aveuglément tous ses espoirs dans la 3D qui avait apporté dans Pina le relief nécessaire afin de capter toutes les émotions du corps en mouvement, or ici, le résultat est dissonant. Le procédé qui selon lui est censé absorber le moindre petit soupçon d'âme de plusieurs personnages et ainsi décupler l'effervescence silencieuse du spectateur, ne cause en réalité qu'un ennui profond. L'intransigeance est mal placée, sa fixation sur la 3D est vaine, et ce mauvais choix sur lequel il s'est obstinément rattaché le catapulte dans un maelström irréversible et pathétique, il enchaîne de façon logique les fautes de choix et de goût.
Pourtant l'introduction détenait tous les ingrédients pour non pas créer le chef-d’œuvre tant attendu, mais au moins éviter la catastrophe. Le premier plan s'ouvrait à l'intérieur d'une cahute bleue retirée dans une sorte d'endroit imaginaire enneigé, Alexandre Desplat livrait les premières notes d'un concert au ton mélodramatique à la fois inquiet et rassurant, et James Franco, sûr de lui, nous souriait face caméra avec le visage baignant dans une lumière insolite, mêlant teintes crépusculaires et couleurs de l'aurore... User d'un écrin chromatique étonnant ne suffit pas lorsque l'on est le brillant réalisateur de Paris,Texas où l'heure devrait être constamment à la fascination.
Lent zoom sur Franco, "Everything will be fine", devinons-nous dans son regard. C'est Wenders qui s'adresse à nous à travers lui, il semble presque vouloir nous convaincre et surtout se persuader que tout ira bien malgré le temps qui passe. Mais il se trompe, tout s'ébranle malgré les bonnes intentions que l'on devine aisément, et le temps, nous le sentons effectivement bien passer.
Le cinéaste avait pour première intention de créer une atmosphère bien propre, de celle des contes philosophiques au relent mélodramatique, jouant avec les silences, les regards et les nappes de musique symphonique, introduisant ainsi un certain phénomène métaphysique dominé par l'itératif, le procédé de répétition, répétition de l'image, du dialogue, des sons, etc... Quand celui-ci est utilisé à bon escient, pour servir le cinéma et non pas le survoler, il devient une sorte de mélodie indicible constamment en phase de suspension, comme précisément dans les films de Malick ou encore dans le dernier film des frères Larrieu. Malheureusement de tous ceux-là il ne fut aujourd'hui que l'ersatz, la photographie est triviale, seuls quelques plans font exception, les dialogues sont horriblement ennuyeux, les personnages agaçants de gentillesses, le héros inintéressant et incompréhensible, la membrane dépressive dont il est atteint ne se perce finalement jamais.
Le film ne cesse de se répéter, de tourner en rond pour finalement ne rien montrer, ne rien raconter si ce n'est les banalités que nous savons déjà : "la création se nourrit du malheur de la vie, déculpabiliser d'un meurtre commis prend du temps, les histoires d'amour (ça finit mal) et la famille c'est pas toujours facile", etc... Le tout complémenté de "magnifiques" travellings latéraux clichés, avec de surcroît, une musique omniprésente, envahissante, comme pour couvrir artificiellement ce vaste néant qui ne cesse de s’accroître. De Wim Wenders il ne reste pas grand-chose dans ce dernier long-métrage, la déception est donc aussi grande que fut l'attente. Espérons seulement qu'il s'agisse là d'une simple expérience ratée ou d'un manque d'inspiration passager, car nous nous refusons de croire qu'à l'avenir... Everything will be bad.
PS : une séance de cinéma partagée pour la première fois avec Fritz_the_Cat, la journée et le type étaient tellement cool que j'ai failli mettre la moyenne à ce film, non mais allô... Ils sont dangereux les gens ici.
Créée
le 27 avr. 2015
Critique lue 1.6K fois
15 j'aime
3 commentaires
D'autres avis sur Every Thing Will Be Fine
Sept ans après son dernier film de fiction, et après deux documentaires, le grand cinéaste allemand Wim Wenders revient à la fiction en 2015 avec Every thing will be fine, un mélodrame qui sait...
Par
le 14 avr. 2020
15 j'aime
Voilà tout juste sept ans que le réalisateur allemand ne s'était pas adonné aux films de fiction. Après l'échec commercial de Rendez-vous à Palerme en 2008 (passé inaperçu en France en raison d'une...
Par
le 27 avr. 2015
15 j'aime
3
On pense à Russel Banks, et pas seulement à De beaux lendemains, dans cette manière de raconter un drame radicalement non spectaculaire et volontairement dépourvu de scènes édifiantes. La 3D permet à...
Par
le 25 avr. 2015
11 j'aime
Du même critique
Dans le sillage des derniers films traitant du combat que l'armée américaine mènent contre diverses organisations terroristes, Al-Qaïda en priorité, plusieurs d'entre-eux se démarquent. Il y a eu...
Par
le 23 févr. 2015
89 j'aime
40
Le Septième Sceau est le premier Bergman que je visionne, et sans surprise, énormissime claque dans ma p'tite gueule. Ce chef d'oeuvre est une sombre fable métaphysique. Pourquoi la vie, mais surtout...
Par
le 3 févr. 2013
59 j'aime
19
En 1960, La dolce vita libère l'imaginaire de Fellini et lui ouvre les portes de l'onirisme et de la psychanalyse. En effet, pour la toute première fois, il raconte et dépeint généreusement un monde...
Par
le 23 janv. 2014
57 j'aime