Asghar fait du Farhadi depuis bien longtemps. La formule est bien rodée, elle séduit la critique et lui garantit une place dans les Festivals les plus prestigieux. Sa dernière livraison ne déroge en rien aux règles de son système.
Soit une famille espagnole se retrouvant à l’occasion d’un mariage, et qui va voler en éclat lorsque une jeune adolescente sera kidnappée. Chez le réalisateur iranien, la jeune génération (Une Séparation, Le Passé) paie pour les manquements des ainés, qui eux-mêmes pensent illusoirement gérer un passé ou des failles béantes (Le Client).
En résulte une mécanique bien huilée, rodée à l’extrême, dans laquelle l’événementiel permet un déterrage de vieux dossiers (anciennes amours, dettes, propriétés terriennes, alcoolisme, chômage, argent, rien ne manque) qui va, pensez-vous, sacrément gâcher la jolie fête de mariage qu’on nous déroule exhaustivement durant une exposition d’une longueur plus que discutable.
Construit comme un thriller à prétention psychologique, Todos lo saben est d’une platitude extrême, pour une raison très simple, et qui s’accroît à chaque nouvel opus du cinéaste : il filme non pas des personnages ou des enjeux, mais sa propre écriture. Le symbole bien lourd en ouverture du film, les rouages de l’horloge d’un clocher d’église, en fait un aveu tout à fait assumé : Farhadi met en place des situations tragiques dans lesquelles le spectateur va jubiler avec lui de voir l’ambivalence triompher, et les personnages piégés.
Ici, c’est la suspicion : chacun, à un moment ou à un autre, peut devenir suspect et avoir des raisons de commanditer ce rançonnage. Évidemment, cela suppose une écriture au cordeau, et Farhadi n’est pas peu fier de sa petite entreprise : il la secoue dans tous les sens, s’assure d’une exhaustivité totale, et déroule son programme sur 140 minutes plus scolaires qu’émouvantes.
Conscient que les questions de la société iraniennes abordées dans ses précédents opus peuvent finir par révéler le caractère répétitif de son œuvre, Farhadi fait comme Woody Allen : il délocalise, nous offre une carte postale du mariage à l’espagnole, deux stars (effet tapis rouge garanti) et quelques clins d’œil bien poussifs à la modernité numérique (appels en visio et drône filmant la fête), qui, bien entendu, achoppent sur l’éternel retour du drame humain.
On en est presque embarrassés : Penelope Cruz en mater dolorosa finit par irriter, et son Javier se démène comme il peut avec un personnage à qui on ne facilite pas la tâche tant tout fait de lui un pigeon. Le public cannois ne s’y est d’ailleurs pas trompé, en accompagnant d’éclats de rire une scène censée être le sommet émotionnel du récit, lorsque Laura fait une révélation fracassante à Paco.
Oui, cette dernière phrase semble issue du résumé de Télé Z d’une Telenovela ; c’est le sentiment gênant qui prime sur la manière dont s’enchainent les événements. On te dramatise tout ça à coup de coupures de journaux et de Ventoline, on te vend un domaine en deux jours, on recompose la famille, on te dissémine des indices au forceps (deux paires de chaussures boueuses), et le tour est joué.
Le plus triste, sur cette trame éculée, est de constater la façon dont l’écriture tente de nous semer des petits cailloux auteuristes pour donner de la profondeur et des ambitions : ces symboles qu’on pose comme des enclumes (la mécanique du clocher, donc, et cet épilogue poussif au possible dans lequel on lave à grande eau la place du village), ces thèmes qu’on survole (la religion, avec un homme athée contre un croyant, l’amour d’un couple et l’amour filial, l’argent qui dénature les relations…), le tout régi par ce regard condescendant sur ces personnages.
Everybody knows : tout le monde sait, personne ne le dit : les secrets de famille, les amertumes tues, les renoncements… Le cinéphile patient pourrait en dire désormais autant des recettes de Farhadi face à ses pantins dans un drame qui tourne à vide.