Pénélope Cruz avait certainement raison lorsqu’au micro d’Augustin Trapenard, elle déclarait que Farhadi avait ce don particulier de filmer la vie, simplement, sans artifice. Le premier segment du long-métrage est un bijou, une heure de vie, une heure dans la chaleur bienveillante de l'Espagne, que Farhadi retranscrit sans modification. Nous sommes plongés dans la réalité. Au travers de l’arrivée de Laura et de ses enfants dans ce village natal, où tout le monde se connaît, où l’on se salue depuis sa fenêtre, où l’on a tous grandi ensemble, le réalisateur présente de manière malicieuse une galerie de personnages bienveillants, joyeux, presque loufoques parfois. Néanmoins, cela ne l’empêche pas de semer les mauvais présages du désastre à venir. Un oiseau emprisonné, un accident évité de peu. Toute la scène du mariage est une fête, tant au niveau du récit, qu’à celui de la caméra, qui se fond dans l’atmosphère du film, qui danse avec les protagonistes aux sourires et aux rires qui ignorent le drame qui s’annonce.
Malheureusement, l’orage, la panne de courant, tous ces signes qui annoncent le basculement du film, présagent tout autant le drame qu’une perte totale de rythme. Si dans un premier temps, le spectateur est pris dans cette enquête, notamment emporté par les performances impeccables de Pénélope Cruz et de Javier Bardem — fallait-il en attendre autrement ? — les longueurs qui se multiplient tendent à le perdre définitivement. Plus le film avance et plus l’on se désintéresse de ces personnages et de leurs tourments. Plus les secrets émergent, moins ils sont crédibles ; ce qui est tout l’objectif de Farhadi, mais le retour de bâton fait que les personnages en deviennent antipathiques. Le film s’embourbe dans les mensonges, les faux-semblants et autres vérités à moitié avoués.
Les révélations n’éclatent à aucun moment. Le dénouement final met un point à des tourments qui, à terme, n’avaient pas un si grand intérêt, alors qu’ils étaient depuis les premières minutes au premier plan du récit. Ce dénouement arrive donc en décalage. Si l’on ne l’avait pas deviné, on n’en est pas plus ému, ou même surpris. Impossible d’avoir l’impression de s’être fait manipuler par le réalisateur, tant on se fiche de cette ultime révélation. Le film se termine donc sans réponse, sur une virgule. Tant de secrets révélés, pour finalement ne rien résoudre, laisser planer ces vérités. Là encore, sans doute était-ce la volonté de Farhadi, car comme l’annonçait le titre, « todos lo saben ». Pendant plus d’une heure, un passé prétendu enfoui éclate, que pourtant, tous connaissaient déjà. De ce fait, quel est l’intérêt de suivre cet enfoncement sans fin dans le drame, dont on sait qu’il ne révélera rien que l’on ne sait déjà ? Quel est le propos de l’auteur ? Ces questions, pour moi, demeurent sans réponse. Après une première heure presque magistrale et chaleureuse, le film, découpé en deux segments bien distincts, ne cesse de s’enfoncer, jusqu’à totalement perdre son spectateur dans son ultime quart d’heure, qui peine à susciter un réel intérêt. Un film sur l’aveu donc ; mais quel est l’intérêt d’avouer ce que « tout le monde sait déjà » ?