Touda : la voix d’une lutte « féministe »

Dans Everybody Loves Touda, Nabil Ayouch nous emmène dans le parcours d’une jeune apprentie cheikha, chanteuse de musique populaire marocaine, qui quitte sa province rurale pour tenter sa chance à Casablanca, la capitale économique et culturelle du pays. De cabaret en cabaret, des lieux souvent fréquentés exclusivement par des hommes, l’héroïne gagne laborieusement sa vie tout en rêvant de l’Eldorado des cheikhates.


Portée par une actrice éblouissante qui crève l’écran, l’œuvre se distingue par une réalisation soignée, alternant plans intimistes et séquences bruyantes et animées. Ayouch réussit ainsi à immerger le spectateur dans l’univers tumultueux d’une mère célibataire, courageuse et déterminée, qui se bat pour échapper à sa condition dans une société marocaine patriarcale, oppressante et aliénante. Cependant, cet univers est brossé avec des traits parfois trop appuyés, souffrant d’un manque de subtilité qui affaiblit le propos.


Dès l’ouverture, le film choque avec une scène de viol collectif en pleine forêt, perpétré par des hommes alcoolisés, sans contexte ni approfondissement. Ce choix narratif donne le ton d’une critique frontale et univoque de la société marocaine , où les hommes ne sont qu’incarnations de brutalité et d’insensibilité. L’héroïne, dans son cheminement, est confrontée à un monde masculin où la violence – qu’elle soit verbale, physique ou sexuelle – domine, et où les rares figures bienveillantes, comme un modeste violoniste, apparaissent presque comme des exceptions incongrues.


En ce sens, Everybody Loves Touda semble parfois sacrifier la nuance au profit d’un discours idéologique qui s’inscrit dans une vision binaire et politisée de la société marocaine. On y retrouve des réminiscences du regard orientaliste, où la figure de la cheikha devient une allégorie de l’émancipation féminine, opposée à une société décrite comme archaïque et barbare. Ce parti pris, bien qu’honorable dans ses intentions, peut paraître caricatural et limite la profondeur des personnages secondaires, qui se réduisent souvent à des archétypes.


Le film souffre également de longueurs, donnant l’impression que le réalisateur veut immerger le spectateur dans la douleur et la résilience de son héroïne, mais au détriment du rythme narratif. Certains fils secondaires sont laissés en suspens, et la transition vers une scène finale ambitieuse dans une prestigieuse salle de concert de Casablanca semble maladroite, voire invraisemblable.


En définitive, Everybody Loves Touda est un film porté par une actrice talentueuse et une esthétique visuelle convaincante, mais qui manque d’équilibre dans son récit et d’approfondissement dans ses thématiques. La trajectoire artistique et politique de Nabil Ayouch, qui s’inscrit dans un courant controversé de dénonciation sociale, n’est pas sans rappeler celle d’auteurs comme Kamel Daoud, dont les discours trouvent une résonance favorable auprès d’un certain public occidental.


Malgré ses défauts, ce film laisse entrevoir un potentiel prometteur, notamment grâce à sa protagoniste, dont la performance devrait marquer durablement le cinéma marocain. Avec un traitement narratif plus resserré et des personnages secondaires mieux développés, Ayouch aurait pu livrer une œuvre plus aboutie.


JockSki
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le 27 déc. 2024

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