Tout le monde aime Touda sans l’aimer en cheikhate (interprète d’aïta : mot qui signifie « cri » et qui est un genre musical marocain) : elle vit plus de variété et de chaâbi (musique populaire marocaine). En plus de cet art qui tombe en désuétude, qui n’est de toute façon pas assez festif pour les mariages ou les bars, elle revendique le statut d’artiste quand on la voudrait prostituée, et Nabil Ayouch nous la montre sur cette corde raide (elle est parfois payée aux bières qu’elle fait boire - les capsules font foi - ou aux billets qu’on lui jette quand on ne les niche pas dans son corsage).
Le film a au moins ce mérite d’évoquer l’aïta, art aussi fragile que sa transmission, orale, mais le néophyte aura du mal à discerner dans ce film ce qui en est, et ce qui est de la variété marocaine, car ce n’est pas toujours clair. Il a aussi le mérite d’évoquer le difficile sort des cheikhates (en lui-même, le mot peut être une insulte), et si le film s’ouvre sur un viol, c’est qu’il semble y être ordinaire selon le réalisateur, qui s’est aidé de trois cheikhates pour confectionner ce long-métrage (l’une d’entre elles est d’ailleurs morte, mais pas son tambourin, que Nisrin Erradi utilise d’ailleurs dans une scène).
Le compagnon de Maryam Touzani s’est plus attaché à capter l’aspect social, au détriment de l’aspect historique ou artistique du aïti, mais il a aussi délaissé l’intrigue et les personnages secondaires, et on assiste à un soliloque de dolorisme qui tourne un peu en rond, malgré le déménagement à Casablanca, où spectateur et héroïne principale n’entrevoient guère de porte de sortie, avec la répétition du même scénario.
Reste que l’auteur de Much Loved (qui fut interdit au Maroc) fait œuvre utile, et s’il a déclaré ne pas avoir vu de spectateurs quitter la salle à l’avant-première casablancaise, à cette première présentation lilloise, deux personnes se sont vite privées du plaisir de voir le film en intégralité.