Arnaud Desplechin discerne deux types de cinéastes : les cinéphiles et ceux qui ne le sont pas. S’il se range dans la première catégorie, à travers une vie ennuyeuse (« j’ai une vie ennuyeuse. Je vais au cinéma et je rentre chez moi pour écrire, mais je n’y arrive pas »), il reconnaît à la seconde caste le droit à l’existence et au talent (« quel était le réalisateur préféré de Duras ? Duras ! »). Il distingue par contre beaucoup plus de types de spectateurs, par exemple si on prend le critère du choix de la place (la manie du 7ème rang, 2ème place sur la gauche), ou celui de l’âge, pour voir l’ogre qu’est le cinévore Arnaud Desplechin en tant que môme, enfant, ado, lycéen, etc. S’il lui était impossible de présenter une anthologie exhaustive de ses coups de cœur, il a néanmoins cité une cinquantaine de films qui ne l’ont pas laissé indifférent, et qui ont marqué sa vie de connaisseur, des Petites Marguerites de Věra Chytilová à Shoah de Claude Lanzmann : du dirigeant de ciné club lycéen qui n’a pas vu l’œuvre qu’il présente (mais il a lu que.) à celui qui se déplace 30 ans plus tard à Tel Aviv, pour rencontrer Shoshana Felman qui, par la grâce d’une critique, avait réussi à le guérir du traumatisme d’avoir vu un film de 10 h sur un cauchemar sans fin. Des choses intéressantes, mais cela reste le testament d’un cinéphile pas toujours lisible qui laisse perplexe, entre fiction, doc, archives. Des bonnes idées mais pas d’intention claire, ce qui embourbe dans la plus extrême confusion, d’autant plus que les extraits de films ne sont pas nommés, ce qui laisse sur une frustration que le générique ne parvient pas à combler. Entre TV et internet, le film parvient quand même à ramener le cinéma au centre des débats et des nécessités, et les avant-premières étant propices aux confidences, nous sommes ressortis avec cet aveu ou invention, Arnaud Desplechin se souvenant ou faisant mine de, alors qu’il était au fond du trou avant la trentaine, enchaînant chômage et petits boulots, d’avoir reconnu Alain Resnais dans le même MacDo glauque, après un film médiocre, et par oreille tendue et mimétisme, sans même lui avoir parlé, d’avoir commandé le même Filet-O-Fish. D’être dans le même spleen bas de gamme qu’un grand homme l’aurait ragaillardi, et La Vie des morts serait né peu après. [Les propos rapportés le sont de l’avant-première lilloise, le 17 décembre 2024, et ne proviennent donc pas du film].

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