La théorie du multivers est complexe et offre un choix de possibilités infini pour en faire le sujet central d'un film. A la fois une intéressante exploration sur sa vie et les choix qui nous ont amenés à devenir ce que l'on est aujourd'hui, mais aussi un terrible désir de voir de quelle façon nous aurions pu mieux la réussir. Everything Everywhere All At once exploite donc ces fantasmes sur fond de fresque familiale et de considérations symboliques qui rendent finalement le tout relativement simple malgré le feu d'artifice apparent.

C'est premièrement ce qui peut à la fois desservir le film et ce qui a certainement fondé son important succès. Empruntant beaucoup à la culture manga japonaise et à ses univers colorés et virevoltants, on retrouve une forte volonté chez les Daniels d'émerveiller le spectateur par une immersion spectaculaire dans les mondes sortis tout droit de leurs têtes. La photographie est très soignée, le cadrage de même, et certains procédés filmiques impressionnent et établissent par moments une contradiction forte avec les purs films d'action. Au début du film en tout cas, contrairement à de gros blockbusters, l'histoire prend le temps de se poser, et alterne parfaitement entre l'électricité dégagée par l'histoire et l'intrigante présence d'évènements qui vont complètement bouleverser la face du film. Par ailleurs, les références sont multiples, et prennent aussi bien dans la pop culture américaine que dans celle japonaise et asiatique. Spectaculaire donc, en tout cas pour la partie visuelle qui, pour une portion du film, impressionne. Très inventif et assez déjanté, on se voit ravi d'aussi bien apprécier des scènes d'actions pour leurs chorégraphies intelligentes que pour la légèreté et l'humour avec lesquels elles sont écrites et réalisées. Malheureusement, ce feu d'artifice peut aussi par moments perdre en efficacité, particulièrement lorsque l'on sent que l'intrigue peine à suivre le rythme imposé par le visuel développé.

Ce problème peut en partie être expliqué par un déséquilibre au niveau des évènements. La première partie, bien que tout à fait maîtrisée, aurait certainement gagné à être plus courte, pour laisser la possibilité à la seconde de davantage se poser. Ici, une cruelle impression de course contre la montre s'opère, et frustre le spectateur. Tout semble être fait précipitamment, sans véritablement d'aboutissement, et certaines idées que l'on trouvait d'abord géniales nous étonnent par une impression de non sens. De même, certaines motivations ne sont pas réellement précisées, comme par exemple ce que veut véritablement le principal antagoniste du film et pourquoi il agit ainsi. Explications partielles donc, d'autant plus que le même problème apparaît au moment où tout est censé se préciser et devenir clair, en l'occurrence lors du dénouement. On retrouve alors un problème malheureusement trop fréquent dans les films de ce type: le scénario n'est pas au niveau du spectaculaire proposé par la mise en scène.

Outre donc ces imprécisions qui, à elles seules, ne sont pas ce qui dessert véritablement le film, on retrouve une structure malheureusement bien trop classique et trop souvent exploitée. Une protagoniste un peu perdue et qui regrette des choix antérieurs et qui a mystérieusement la possibilité de changer sa vie et de vivre toutes celles qu'elle aurait espéré à la fois. Une grande aventure qui, bien évidemment, va agir comme une piqûre de rappel beaucoup trop prévisible sur la nécessité de chérir chaque instant passé à vivre, peu importe sa condition. On se demande alors qu'elle est la réelle morale du film, et une question bien plus philosophique se pose alors. Si l'on a "raté" sa vie, pour permettre aux autres nous du multivers de réussir la leur, à quoi sert réellement notre existence sur terre? Cela signifie-t-il que, peu importe nos choix, notre vie sera nécessairement gâchée? N'y a-t-il pas un peu de déterminisme là dedans, porte de sortie souvent un peu facile pour se sortir de situations compliquées? Et surtout, on semble oublier que la situation d'Evelyn est bien moins pire que celle de milliers d'autres sur Terre (ou dans notre univers en tout cas). Il semble donc intéressant, bien que le film explore le fantastique, de transposer certaines des théories qu'il développe à notre monde "réel". On se retrouve alors face à une volonté positiviste et relativiste, mais qui tombe dans un déterminisme et une perte totale de morale...

A nuancer cependant, car certaines idées sont intéressantes, comme la possibilité de faire jouer plusieurs pans de soi-même à la fois, et d'exploiter les différents "nous" de différents univers. De plus, l'inventivité des procédés avec lesquels s'établit le lien avec ces autres du multivers séduit et ajoute beaucoup au côté complètement décalé et déjanté.

La revendication familiale est compréhensible, mais est malheureusement un peu trop mise en avant, et sa conclusion bien trop caricaturale et stéréotypée déçoit, tout comme les relations développées au cours du film. Un clivage mère/ fille simultané avec le divorce, un père malade et pas vraiment aimé, plus un fardeau qu'autre chose, et une vie déséquilibrée et morne. Autant de problèmes auxquels le multivers vient donner des réponses comme par magie, pour sauver une famille en détresse. Un peu trop simple et certainement pas assez pertinent pour un dénouement.

On l'annonce comme favori aux Oscars, comme LA réussite de 2022, et comme un très grand film. Certes, il s'agit là d'un bon film, aux effets visuels magnifiques et aux univers très intelligents et inventifs, comme peu on en voit de nos jours. Mais, le film perd peu à peu en pertinence, et tombe malheureusement dans une redite de beaucoup de morales bien trop simples pour être réellement appréciées. Everything Everywhere All At Once confirme donc la difficulté de s'attaquer au multivers de nos jours, particulièrement au cinéma, et démontre que sa conquête n'est pas encore terminée...

Créée

le 11 mars 2023

Critique lue 25 fois

Alban Peyrot

Écrit par

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