Le voilà. LE film annoncé en grande pompe depuis des mois, phénomène ayant tout bouffé au box-office US cette année, LE métrage qui allait tout exploser dans son concept de multiverse en plus de se poser comme le nouveau Matrix d'une génération qui était trop jeune pour se manger le parpaing révolutionnaire du premier volet en 1999, LE grand réconciliateur entre grand spectacle et film d'auteur exigeant.
Passée la hype absolue, que reste t-il à froid de l'évènement programmé de 2022?
(Fun fact : sur TERRE 246, Jean Castex est élu pour la 12ème fois consécutive "Homme le plus charismatique du monde". François Bayrou lui, fait la couverture de GQ en tant que "Hottest man alive")
Evelyn Wang tient une laverie avec son mari, Raym... Oui, non, raconter les pitchs c'est chiant, on est pas sur Allociné ici, allez hop, on attaque direct à l'os.
Plusieurs choses frappent dans Everything, Everywhere, All at Once.
La première et la plus évidente c'est que Les Daniels ont des idées visuelles, des tas, il est impossible de nier la réussite du film dans une logique purement formelle. L'univers du film, immense bac à sable au champ des possibles quasi infini permet aux réals d'expérimenter beaucoup, tout le temps une fois que leur histoire s'ouvre au concept du multivers. A ce titre, il est clairement à porter au crédit des réalisateurs cette ambition qui, avec 25 petits millions de dollars, parvient à laminer une méga production comme le dernier Doctor Strange et son multivers en carton mouillé, et l'ensemble des prods Marvel depuis 10 ans.
En cela, Everything, Everywhere, All at Once est une respiration bienvenue dans l'imaginaire en berne du cinéma américain contemporain. Les idées de cadre et de montage s'enchainent et la qualité des SFX transcendent le budget restreint qui, rappelons le équivaut à la prod d'un film de Dany Boon ici.
Cette générosité et la volonté d'une petite équipe restreinte mais soudée est clairement l'atout majeur du film. Cette générosité et son casting.
Dans un système où le jeunisme est roi, il est franchement plaisant d'avoir un gros succès au box office avec une protagoniste principale vieillissante, une grand-mère passée à côté de sa vie, l'antithèse de l'archétype hollywoodien actuel.
A ce titre, quel joie de retrouver Michele Yeoh, absolument parfaite dans le rôle titre, quel bonheur d'avoir une Jamie Lee Curtis qui propose autre chose qu'une Laurie Strode dans un énième Halloween 47.
Le reste du casting est aussi excellent mais clairement, le film tourne avant tout autour de la fantastique Yeoh qui en retour donne tout dans ce qui sera surement le dernier grand rôle de sa carrière (Hollywood n'aime pas les vieux, donc je parie facile là-dessus).
Voilà, voilà, ça serait super de finir cette critique ici et de partager la hype générale et recommander Everything, Everywhere, All at once malgré son titre trop long et tout serait merveilleux dans le meilleur des mondes. Mais nous savons que nous sommes dans un monde hostile et cruel, et donc il est impossible de ne pas évoquer les limites et défauts tout aussi évidents dont souffre le métrage des Daniels.
Est-ce que tu m’entends, Yeoh ??
(Insolite : sur TERRE 812, la Fronçe vient de réélire pour un 3ème mandat un sandwich triangle thon-oeuf Daunat, en tant que Président de la république Fronçaise. Le pays a retrouvé plein emploi, SMIC à 3000 euros, est la première puissence économique mondiale et a remplacé l'hymne de La Marseillaise par Tu veux mon zizi? de Francky Vincent, dans un esprit devenu résolument anti-guerre mais resté toujours aussi beauf)
Car pour autant réussies soient les idées visuelles du film, et aussi frénétiques soient leurs applications, ils ont du mal à carrer un gros problème du film : son rythme. En effet, Everything, Everywhere, All at Once, all at once met du temps à démarrer ne parvenant pas vraiment à se dépêtrer de sa longue exposition de personnages puis de son concept et, plus problématique, met un temps fou à se terminer. Une fois que les tenants et aboutissants de son intrigue et de ses thématiques assimilés (autre problème mais j’y reviendrai), le film se met à méchamment tourner en rond et galère à jumeler la folie de ses idées avec la grande simplicité de son histoire. Et si le film est très plaisant à suivre pendant 1h15, il a beaucoup de mal à rattacher ses wagons et finalement finit par ennuyer sur son dernier acte qui est pourtant sur le papier le plus émouvant et le plus humain. Fâcheux.
Surtout qu’il faut se farcir un récit central dans un décorum extrêmement pauvre, car malgré ses multiples univers, le principal et donc le prédominant lui se déroule dans un centre des impôts, succession froide et fade de bureaux et de murs moches. Malheureusement, malgré toutes ces idées visuelles, les voir se concentrer dans des décors aussi peu stimulants pose la limite du budget et retourne un peu l’élan du film contre lui-même.
Et c’est ici que vient se poser la seconde autre limite du film. Son scénario. Sur deux aspects.
Le premier et je resterai bref dessus, car j’aurais besoin d’un second visionnage pour étayer, mais le concept même de multivers n’a parfois aucun sens. C’est pas évident à saisir pendant le visionnage tellement les réalisateurs te tabassent dans tous les sens d’idées, au point de rendre leur film limite abrutissant comme un métrage de Michael Bay, mais quand on récupère son cerveau à sa sortie et qu’on le remet en état de marche, il y a clairement des trucs qui ne fonctionnent pas. Par exemple, Evelyn apprend qu’en faisant un certain type d’action totalement absurde, elle acquiert le pouvoir d’une Evelyn d’un monde parallèle. L’idée est en soi très cool, mais au bout d’un moment, elle se met à faire des actions complètement aléatoires qui, miracle, lui donne quand même les pouvoirs souhaités alors que la première est transmise par le Raymond alternatif qui savait quoi transmettre pour obtenir le pouvoir concerné. Du coup, Evelyn fait son action d’elle-même, sans directive initiale et… ben ça marche quand même.
Le problème dans un concept de multivers, c’est que malgré la possibilité infinie du principe, ces univers doivent avoir une logique interne pour fonctionner pleinement et ici, j’ai l’impression que Les Daniels sont plus branchés par l’idée de proposer un peu tout et n’importe quoi du moment que l’absurdité du moment surprenne plus son public plutôt que de soigner la cohésion totale de leurs règles.
C’est là où j’en viens donc au rapprochement forcé et hasardeux avec Matrix.
Oui Les Daniels sont sans aucun doute très fans du travail des Wachowski , mais n’ont pas leur rigueur, ni dans l’écriture, ni dans le rythme, ni dans ce dont leur histoire évoque.
Car Matrix est une perfection en terme d’univers posé, et les multiples expositions dans le film originel renforcent et crédibilise son pur cadre de Science-fiction. Visuellement, aucune des idées posées dans Matrix n’est purement gratuite contrairement à Everything, Everywhere, All at Once.
A mon sens, c’est toute la différence entre le premier, vrai film visionnaire établi par de grandes cinéastes qui ont su apporter du jamais vu en salle, et le second qui, avec le recul, apparait pour ce qu’il est vraiment : un film de petits malins. Original certes et parfois excitant, mais un film de petit malins. Et cette impression se renforce dans ce que les films racontent.
Everything, Everywhere, All at Once semble prendre initialement la voie d’une immense réflexion sur le sens de la vie pour au final se résumer à un propos très simple et qui se résume très simplement :
dans la vie, c’est mieux de miser sur la gentillesse et faire preuve de compréhension et d’acceptation, surtout si ta fille est lesbienne.
Et tout ce résume à cela, là où les Wachos parvenaient à mêler des thématiques profondément personnelles et intimes (la question du genre et de l’identité justement) à des thématiques plus larges (le transhumanisme, notre place dans le monde, la notion de réalité et de virtualité, la servitude, l’émancipation de l’intelligence artificielle, le lien entre l’individu et le collectif, le sens de l’héroïsme, le rapport à la rébellion ou à la servitude, notre quête constante de sens dans un monde de plus en plus déshumanisé,…). Matrix est une œuvre profondément existentielle à l’aube du 21ème siècle, qui te pose de grandes questions au point de redéfinir notre rapport au réel (ou du moins ce qu’on en perçoit) et au monde, Everything, Everywhere, All at Once lui s’agite dans tous les sens en restant divertissant certes, mais au final ne frappe pas l’esprit et ne vise qu'au cœur assez maladroitement. Au final, comme un chanteur de K-pop, le résultat est mignon mais aussi limité.
Et quitte à se limiter à cela, dans un système de fabrications filmiques devenu très méta-cynique, cela reste ma foi, toujours bon à prendre. Car on ne peut pas lui enlever une certaine sincérité, un véritable amour pour ses personnages.
Cependant, un film extrêmement fou, avec mille idées, avec une esthétique originale, novatrice et psychédélique qui en plus, propose une réflexion profonde et brillante sur le sens de la vie au point de demander plusieurs visionnages pour en saisir l’incroyable pertinence est suffisamment rare pour être souligné. Ça s’appelle Mindgame, de ce génie de l’animation qu’est Masaaki Yuasa, c’est sorti en 2004 et ça réussit franchement là où Everything, Everywhere all at once finit par se prendre les pieds dans le tapis. Le film qui change une vie cinéphile et cela peut être confirmé dans tous les univers connus.