Honoré de onze nominations aux Oscars 2023, dont sept décernés (meilleur film, meilleure actrice pour Michelle Yeoh, meilleur réalisateur pour Daniel Scheinert et Daniel Kwan, meilleur scénario original pour Daniel Scheinert et Daniel Kwan, meilleur montage pour Paul Machliss, meilleur acteur dans un second rôle pour Ke Huy Quan et enfin meilleure actrice dans un second rôle pour Jamie Lee Curtis) Everything, Everywhere, all at once a beaucoup fait parlé de lui. En effet, dans un champ saturé par les super-héros et le multivers (de Marvel à Star Wars), ce film apporte une réelle fraîcheur quant à son angle d'approche, moins lisse que ses prédécesseurs.
Synopsis :
Cette comédie de science-fiction narre l'histoire de Evelyn Wang, mère de famille et femme sino-américaine qui tient une laverie avec son mari Waymond. Faisant face à des problèmes familiaux et financiers, elle s'efforce de porter à bout de bras tout son petit monde prêt à s'écrouler. Ironie du sort, son univers se retrouvera effectivement chamboulé lorsque son mari provenant d'un univers alternatif (Alpha Waymond) prend possession du corps du mari de son univers pour l'avertir d'un grand danger si elle ne change pas, par ses choix, le cours des choses.
Analyse :
Le film nous entraîne dans une plongée progressive vers l’absurde et le caricatural notamment dans sa première partie où nous suivons les sauts successifs d’une mère totalement paumée (autant que le spectateur) dans des univers parallèles toujours plus décalés. Les repères posés par la scène d'exposition sont volontairement soustraits au profit de références à d'autres univers et de codes hollywoodiens populaires (en citant pêle-mêle Matrix, Le Cinquième élément, 2001 : L'odyssée de l'espace ou encore les X-Men) mais qui n'appartiennent pas à la situation initiale. Le rythme y est frénétique, l'action monte crescendo, les couleurs y sont bariolées, mais sans se prendre au sérieux ni chercher à être cohérent (on pense notamment à la scène avec Racoon-atouille).
Dans ce marasme de situations loufoques, le spectateur y cherche un semblant de réponses à ses questions, des appuis sur lesquels se reposer, mais n'a pas le temps de souffler tant il est balloté d'univers en univers. Jusqu'à la deuxième partie qui vient relativiser tout ce que l'on cherchait à comprendre depuis une heure.
Le rideau tombe, il ne s'agit pas de reconstituer un puzzle avec les pièces de la cohérence. Nous comprenons que tout ce que nous avons vu n’était que le reflet des émotions et des questionnements d’une adolescente en crise, qui se sent incomprise par sa mère. La mère, quant à elle, prend conscience de la situation de sa fille en vivant une expérience similaire et réalise que leur relation s'est détériorée en raison de sa vision traditionnelle et inflexible du monde qui ne correspond pas à l'évolution des mœurs et des générations. En se mettant à la place de sa fille, en comprenant ses émotions et en acceptant sa complexité et sa singularité, elle recentre son attention sur l'essentiel pour construire leur relation. Le film devient alors un récit initiatique et une ode à l’empathie et au dialogue.
L'autre thème abordé est celui du "monde des adultes", parsemé de problèmes que ceux-ci se créent eux-mêmes. Face à la complexité des impôts et de leurs règles présentées comme kafkaïennes, face au quotidien aliénant ne laissant pas de place (volontairement?) au dialogue entre les membres de la famille qui ne peuvent aborder des sujets importants comme le divorce ou les relations amoureuses, le film nous donne à voir en miroir un récit aux enjeux et aux solutions simples (un grand méchant qui veut envahir les univers, de la bagarre pour le contrer). Cette fuite en avant ne saurait cependant être la solution aux problème. C'est pour cette raison que la deuxième partie du film se veut plus contemplative, plus posée, moins axée sur les enjeux de la première partie et se focalise avant tout sur la relation mère-fille qui se cherchent et se fuient, jusqu'à se retrouver pour affronter ensemble les peurs de l'inconnu.
Nonobstant les thèmes abordés, le film est techniquement très réussi, avec des éclairages, des chorégraphies, des transitions et des plans variés et travaillés. La réalisation brille par sa clarté et montre ce qui n'a pas forcement besoin d'être dit. Le langage de l'image est exploité à sa juste valeur (en contraste avec le cinéma français qui aurait tendance à traiter le même sujet par des dialogues fleuves et des acteurs théâtraux au bord de l’agonie émotionnelle) pour laisser la place à l'onirisme du propos.
Quelques bémols cependant : certaines scènes sont assez peu subtiles, que ce soit dans les métaphores filées ou les scènes graveleuses. Le film aurait pu gagner en finesse et en élégance en évitant ces excès et aurait pu être plus court sans perdre de son intérêt.
La résolution du récit, dans sa troisième partie, est satisfaisante mais pas transcendante. Le film ne cherche pas à nous surprendre ou à nous faire réfléchir comme pourrait le faire un Nolan. Il se contente de nous offrir une fin heureuse et optimiste, qui clôt le récit sans le sublimer.
En conclusion, Everything, Everywhere, all at once est un film d'excellente facture, prenant la porte de la science-fiction, de l'humour et du divertissement (aux enjeux souvent plus globaux que la somme des problématiques individuelles) pour paradoxalement recentrer son propos sur des sujets sensibles et humains à une échelle plus intime.