« Vivez l’expérience cinématographique la plus terrifiante » nous livre la tagline de l’affiche du film, une formule maints fois utilisée dans le but d’attirer le chaland et porteuse de belles promesses qui, pour la plupart des remakes et autres films d’horreur et d’épouvante, s’avère très souvent décevante, voire à la limite de la fumisterie.
Le « Evil Dead » de Sam Raimi ne compte plus les milliers de fans à travers le monde tant cette œuvre, pourtant pauvre en moyens, à démontrée son efficacité et son authenticité grâce à l’énergie et la passion d’un jeune cinéaste motivé par son désir de donner du sang neuf. A ce titre, le film culte de Raimi fait office d’œuvre intouchable car peu de réalisateurs (à l’époque de la sortie du film) n’avaient su se démarquer comme il le fit il y a 32 ans de cela. Le film reste unique en son genre puisque encore aujourd’hui, il est impossible de rester de marbre devant les qualités évidentes de sa mise en scène.
L’annonce d’un remake avait donc de quoi faire frémir sachant qu’il était peu probable que cette nouvelle version atteigne une telle qualité artistique, ou tout au plus pouvions-nous nous attendre à un sympathique film d’horreur bercé par les moyens techniques d’aujourd’hui et vivant dans l’ombre de son modèle, ce qui n’aurait eût au final que peu d’intérêts.
Mais tout cela est bien évidement sans compter la pugnacité de Sam Raimi à vouloir offrir une seconde jeunesse à son classique, une nouvelle vision qui mettrait de côté l’aspect comique « accidentel » de l’œuvre d’origine afin d’en livrer une relecture plus brutale et plus sombre, telle qu’il l’aurait souhaitée 30 années auparavant.
Un remake donc, qui aurait certainement plus de sens à ses yeux si un autre que lui se chargeait de la mise en scène, car quitte à proposer un tout nouveau Evil Dead, autant le faire avec un autre regard que le sien. Une fonction qu’il confiera au jeune réalisateur urugayen Fede Alvarez, pendant que Raimi occupera le siège de producteur aux côtés de ses éternels acolytes que sont Bruce Campbell et Robert Tapert.
Fede Alvarez s’est fait remarquer en 2009 grâce à son court-métrage « Ataque de Panico ! » qui remporta un franc succès auprès des internautes, ce qui lui valut d’être approché par les pontes du studio Ghost House dont le fondateur n’est autre que Sam Raimi. Impressionné par les qualités artistiques du jeune cinéaste, et après plusieurs entretiens durant lesquels Alvarez fit part de son enthousiasme pour diriger la nouvelle version d’Evil Dead, Raimi finira par lui laisser carte blanche quant à l’approche originale du projet. Un grand coup pour Alvarez qui s’apprête à faire ses armes sur son premier long-métrage tout en ayant la lourde tâche de succéder à Sam Raimi sur une œuvre adulée dans les quatre coins du monde. Autant dire qu’il est attendu au tournant car un échec pourrait s’avérer très rude pour sa jeune carrière.
Et il n’en sera rien, Alvarez s’en sort avec tous les honneurs en livrant un long-métrage puissant et sauvage, à la hauteur de nos espérances si ce n’est plus.
Une franche réussite qui à le mérite d’être honnête puisqu’elle respecte la mythologie instaurée par Raimi tout en réussissant l’exploit de s’en démarquer admirablement, ceci grâce notamment à une écriture et une mise en scène maîtrisées proposant des séquences fortes qui ne s’oublieront pas de sitôt. L’intensité du récit s’amorce dés la séquence d’ouverture où l’on assiste à une sorte d’exorcisme des plus violents, ouvrant ainsi le film sur une ambiance glauque et poisseuse. Le ton est donné, l’histoire peut donc commencer.
Remake oblige, le synopsis reste sensiblement le même à quelques détails près ; un groupe de cinq jeunes se réunit dans une cabane au cœur d’une fôret dans le but d’épauler l’une d’entre eux, Mia, une toxicomane ayant pris la décision de mettre fin à sa dépendance. Un sevrage qui s’avère bien rude pour la demoiselle dont les sens se retrouvent décuplés, à un point même qu’elle ressent un malaise dû à une odeur pestilentielle provenant de la cabane même et qu’elle semble être la seule à ressentir. Plus précisément de la cave jusque là cachée aux yeux du groupe qui y fera une découverte des plus morbide : une pièce cachée ayant été utilisée pour un étrange rituel et dans laquelle se trouve un objet solidement scellé par du fil barbelé. L’objet en question s’avère être un livre à l’aspect des plus repoussant baptisé « Naturum Demento » dont la lecture à voix haute par l’un des jeunes aura pour effet de réveiller une entité maléfique et violente dont le dessein est de s’emparer de leurs âmes. La première à être frappée étant Mia, alors en plein état de faiblesse…
Qu’on se le dise, nous ne tenons pas là un pur chef-d’œuvre, le film n’étant pas exempt de défauts comme en témoigne les personnages qui pèchent malheureusement par un manque d’épaisseur mais aussi de quelque petites facilités scénaristiques qui auraient certainement gagnées à être évitées, mais en partant du principe qu’il s’agit avant tout d’une production horrifique et qu’il est de coutume d’y voir de telles lacunes, on pardonne volontiers ce petit nuage gris dans le paysage tant le reste du film se montre efficace et immersif dans son approche.
Et en plus de faire montre d’un grand respect vis-à-vis de l’œuvre d’origine (les références sont nombreuses et amenées intelligemment), Alvarez parvient à se l’approprier pour mieux en transcender les règles ; son œuvre se veut brutale et sans aucune concession, ses personnages sont là pour souffrir et il prend un plaisir coupable à ne pas les ménager pour le plus grand plaisir des aficionados du cinéma d’horreur. Il joue constamment sur les effets sonores et de lumière afin d’accentuer un sentiment d’angoisse et de pression malsaine montant crescendo pour ne plus lâcher le spectateur (je me suis assez souvent crispé dans mon fauteuil, c’est dire), lui permettant ainsi d’apposer sa patte au sein de la saga et parvenant même à nous faire oublier, le temps du film, la version de 1981. Ce qui constitue un exploit, cela va sans dire.
Preuve en est avec les nombreuses scènes d’horreur qui reprennent dans les grandes lignes celles initiées par Raimi dans le premier opus, mises en boîte avec beaucoup de panache et suscitant, dans une certaine poésie macabre, un sentiment de frisson constant. La séquence dans la cave occupée par une Mia possédée est de celle-là et nombreux sont ceux qui ont détourné le regard face notamment à la prestation impressionnante de l’actrice Jane Levy que l’on devine poussée dans ses derniers retranchements par le réalisateur. Son interprétation est viscérale et demeure à ce titre la meilleure du film. Et même si, comme précité, l’interprétation du reste du casting manque un peu d’épaisseur, les autres comédiens sont à l’avenant et propose un jeu correct, surtout au moment où ils sont véritablement mis à contribution lors de séquences à haute pression. Un tout qui se montre cohérent bien que l’empathie, compte tenu de leur sort, aurait put être de mise.
Le film d’Alvarez se montre d’autant plus plaisant grâce à la générosité dont il fait preuve en termes d’effets gores ; son œuvre est rude et sanglante, mais regorge d’instants jouissifs qui pousse le long-métrage vers des sommets assez inattendus et on devine aisément que le jeune cinéaste est un grand cinéphile puisant son inventivité dans ses propres références ; on pense beaucoup à Herschell Gordon Lewis ou encore Peter Jackson dans ses jeunes années. Un aspect des plus forts qui se ressent surtout dans le climax final du film, véritable orgie de sang au sens propre du terme. Le gore étant un point des plus important dans la mythologie Evil Dead, Alvarez a l’intelligence de ne pas prendre son public pour une vache à lait en ne tombant jamais dans la surenchère, les effets venant à points nommés via des plans savamment millimétrés et des plus efficaces.
« Evil Dead » cru 2013 est donc un excellent film d’horreur, jouissif et maîtrisé de bout en bout, faisant preuve qu’une relecture peut s’avérer tout aussi efficace que son modèle si elle est mise entre de bonnes mains (rappelez-vous l’effort d’Alexandre Aja pour son remake de « La Colline à des Yeux », la nouvelle version ayant surpassée son modèle au grand désarroi de Wes Craven, le réalisateur à l’origine de l’œuvre…avec le travail de Fede Alvarez pour Evil Dead, nous ne sommes pas très loin du compte bien que les films n’abordent pas le même ton). Il est indéniable de reconnaitre à Fede Alvarez une certaine classe dans sa mise en scène, le faisant bénéficier par la même d’un intérêt particulier quant à son travail à venir. En ce qui me concerne, je garderai un œil sur le bonhomme, sachant qu’il doit de nouveau travailler avec la firme Ghost House pour un projet SF. Une affaire à suivre donc…
En attendant, je ne peux que conseiller aux amateurs de films d’horreurs d’aller se ruer dans les salles les plus proches pour découvrir ni plus moins que l’un des meilleurs remakes de ces dix dernières années, et les âmes sensibles n’auront qu’à s’abstenir ;)
Et quel que soit l’accueil que vous lui réserverez, il est aujourd’hui plus que sûr que la saga Evil Dead n’a pas encore dit son dernier mot et a encore de beaux jours devant elle…