Difficile de dire si Lucile Hadzihalilovic (ouf !) pèche ici par défaut de vision globale et de structure ou par excès d'ambition et de prétention, je ne la connais ni personnellement ni cinématographiquement, mais force est de constater que "Évolution" part de très haut, très vite, mais se crashe magistralement une fois passé le cap de la première demi-heure. Chose on ne peut plus dommage, étant donnés le thème, le style, le contexte, ainsi que le caractère envoûtant et inclassable de l'œuvre.
C'était un projet ambitieux, sans aucun doute. Le premier tiers introduit un univers chatoyant, singulier, extrêmement bien conceptualisé, tournant autour d'une étrange communauté de femmes adultes et de petits garçons dans un village côtier, aux rues étroites parsemées de scories. L'eau est omniprésente, et les plans sous-marins sont magnifiques, d'une redoutable efficacité, comme si le mouvement des tentacules des différentes plantes aquatiques avait été chorégraphié. La beauté plastique de ce qui nous est montré est sidérante, avec une faune aquatique nimbée d'un voile mystérieux, des femmes gagnant le rivage à la lumière terne de quelques lanternes pour s'adonner à un bien étrange sabbat, et bien sûr la froideur des intérieurs, des personnages féminins, et des médicaments administrés aux enfants comme un rituel. Une beauté d'autant plus sidérante qu'elle instille un malaise tout à fait insidieux, allant crescendo. On le comprend vite, "Évolution" privilégie la sensation plutôt que la réflexion, l'atmosphère plutôt que la narration.
Tant que le film se limite à ce rôle, l'exercice de style est agréable. Beaucoup de signes étranges émergent, la normalité de certains comportements apparaît souvent comme anormale, de nombreuses questions se posent sans que l'absence de réponse ne soit dérangeante. Mais les promesses de cette première partie très réussie volent en éclats quand la caméra se glisse à l'intérieur d'un inquiétant hôpital : au minimalisme qui précédait s'ajoute une recherche trop appuyée de l'étrange, voire du sinistre, et ces deux dimensions sombrent dans un excès conjoint anéantissant toute efficacité globale. Comme si la combinaison des deux, le bizarre et le minimaliste, jetait une lumière désolante sur le manque de profondeur de chacun de ces aspects et sur l'absence de véritable structure à l'échelle du projet. On passe de l'excitation des débuts à l'amertume d'un développement raté.
Au final, "Évolution" vire en un clin d'œil au bizarre pour le bizarre, à la mise en scène pour la mise en scène, à la lenteur pour la lenteur, le tout parsemé de symboles sordides et/ou psychologiques, souvent poussifs, et surtout assez peu convaincants. Décollage magnifiquement réussi, atterrissage spectaculairement raté.
[Avis brut #89]