"Ex Machina" est le premier film d'Alex Garland en tant que réalisateur (il est au départ auteur-scénariste). La liste des films qu'il a écrit est courte mais éloquente : "Dredd", "Never Let Me Go", "Sunshine", "28 jours plus tard". On lui doit aussi le livre "La Plage", adapté par Dany Boyle. Paradoxalement les défauts de ce film viennent de l'écriture, et sa force de la mise en scène.
Le scénario n'a rien de novateur. "Ex Machina" ne se démarque pas franchement d'autres films centrés sur l'intelligence artificielle (excepté l'idée du huis clos). Malgré une formule bavarde qui prête à la réflexion, le sujet n'est pas traité en profondeur. Dans cette question des limites de la relation entre humanité et intelligence artificielle, "Her" était beaucoup plus abouti.
Il y a bien une certaine mise en doute du progrès technologique. Mais le parallèle fait à Google est une dénonciation un peu facile et très démago de notre société voyeuse. L'intrigue est un continuel jeu de dupe, ce qui est plutôt sensé étant donné qu'il est basé sur le test de Turing. Pour autant c'est plutôt prévisible. Les effets de surprise sont grillés. La peau est comme un voile pour faire diversion, tromper l'attention du spectateur. En cela le film est peut-être trop méta. Quand l'intrigue se dévoile, que la peau se retire pour montrer le corps du récit, c'est très creux. L'erreur est de nous prévenir du trompe l’œil. Le scénario est très convenu, mais on aurait pu s'attendre à une conclusion encore plus simpliste. Une fois le décors installé, les échanges entre personnages sont plutôt superficiels. Cela dit, on pourrait juger cette légèreté pour de la sobriété, et considérer que le scénario fait bien d'aller à l'essentiel.
Si elle n'est pas non plus novatrice, la mise en scène est relativement atypique, et surtout diablement efficace. On entre immédiatement dans le vif du sujet. En quelques images et quelques rares mots, l'intrigue est bien installée. Pour reprendre le paragraphe précédent, il y a quand même une qualité d'écriture dans la précision de la narration. Pour ce qui est de l'introduction, les répliques ne sont jamais laissées au hasard, elles dessinent toutes les éléments de l'histoire et leurs protagonistes, mais comme dit avant, la suite est moins passionnante.
Tout ce qu'on voit à l'écran est convaincant. L'anticipation est d'une crédibilité absolue. Pour mesurer encore le jugement du premier paragraphe, l'écriture n'y est pas pour rien. La création de l'intelligence artificielle vient du fondateur du plus puissant moteur de recherche, l'idée fonctionne avec évidence. Après tout, Alex Garland ne pose pas si mal les choses sur le papier, en tout cas il les pose brillamment sur écran (surtout pour une première).
Pour en revenir à l'anticipation, c'est quand même avant tout l'univers visuel qui fascine. La demeure reculée de Nathan, qui sera le théâtre du huis clos, est quasiment un personnage à part entière. Spacieuse, moderne et parfaitement fondue dans le paysage, cette immense maison est magnifique. Le sous-sol, très froid, est bien moins accueillant mais frappant de réalisme. La photographie est très esthétique, des plans précisément cadrés, un contraste magnifiquement maitrisé, et donc un décors saisissant. En cela la beauté du film s'approche de celle de "Under the Skin", notamment dans le mélange entre nature et technologie.
Quant à l'incarnation de cette intelligence artificielle, ça marche tout autant. On saisi totalement le procédé de fonctionnement de ces machines. Le fait qu'elles soient sexuée, et féminines, fait partie du côté illusoire du récit.
L'ensemble du casting est impeccable, mais Oscar Isaac se détache. Incontournable depuis "Inside Llewyn Davis", il est méconnaissable en inquiétant génie du monde moderne. L'utilisation du huis clos, en plus d'avoir du sens, renforce le côté psychologique de cette histoire (mais trop peu exploité on le rappel). Le constat est donc assez clair que David Fincher aurait parfaitement pu s'emparer de ce sujet.
"Ex Machina" est un film sur une invention, qui n'invente rien. Alex Garland -auteur- fait le choix de ne pas réinventer le sujet, devenu un genre. Avec un scénario dépouillé il nous embarque dans un univers qui fait illusion.