Alex Garland, le brillant scénariste de 28 Days Later et Sunshine aussi auteur du livre The Beach, passe ici pour la première fois derrière la caméra pour réaliser son premier film. Ici il choisi, pour débuter sa carrière de metteur en scène, un thème maintes fois éculé dans la science-fiction, celui de l'intelligence artificielle. Mais pour ceux qui connaissent un peu le travail du monsieur on sait qu'il ne va pas se contenter d'enfoncer des portes ouvertes et qu'il va tenter d'y injecter sa patte artistique mais aussi de renouveler les questionnements autour de l'I.A.


Néanmoins il faut reconnaître que le film au final enfonce pas mal de portes ouvertes, en même temps avec un tel sujet il aurait été difficile, voire même impossible, de faire autrement. Pourtant même si sur le plan narratif certains éléments sont attendus, notamment dans le jeu de pouvoir qui s'effectue dans le trio du film, où tout le monde manipule tout le monde, le film ressort des questionnements pertinents et diablement effrayant poussant la réflexion sur la machine et son humanité vers des frontières troubles et glaçantes. Honnêtement Garland frappe un grand coup dans la fourmilière et redéfini ce que doit être la science-fiction intelligente qui a tendance à se vulgariser au fil des ans, cette année a même eu le droit au très raté Chappie qui sacrifiait tout les questionnements intéressants sur l'autel du divertissement. Ici le film n'essayera pas d'être cool ou de mâcher le travail au public, étant assez lent (mais pas long) dans son rythme et très verbeux. D'ailleurs les joutes verbales sont clairement fascinantes dans ce film que ce soit les faces à faces entre Caleb et Nathan ou ceux entre Ava et Caleb, le nombres de personnages étant réduits il va y avoir différentes dynamiques assez bien trouvées entre les 4 personnages "centraux" du film, qui seront magnifiés par une précision et une excellence dans l'écriture des dialogues qui sont souvent à doubles sens. D'ailleurs cette sobriété et cette précision imprègne tout le film qui va droit au but évitant habillement toute digression, renforçant l'impact du film et de son message, une telle maîtrise se fait rare et ici sur ce point on atteint presque la perfection. Après on ne peut pas se défaire de cette sensation d'être en terrain conquis, ce qui fait que parfois le film ne sera pas aussi surprenant si on est un habitué du genre, ce qui au final est un peu handicapant mais pas gênant outre mesure surtout que le film mélange les genres et les références avec brio. On pense à Frankenstein évidemment mais aussi à Barbe Bleue car ici on est typiquement dans le conte moderne, à la fois élégant, cruel et nihiliste. La morale finale est d'ailleurs à glacer le sang tout comme le propos même du film qui plus que de parler de l'Homme dans la machine parle du monstre qui se terre dans l'humanité. Car l'humanité est au cœur du film mais ici dans ce quelle a de plus abjecte, à savoir la manipulation, le mensonge, la perversion et etc. Ici le film parle d'hommes à la recherche de la perfection sexuelle, cette femme parfaite et soumise qui n'est réduit qu'à un objet pour l'homme viril, ici cette femme parfaite est muette et obéissante pour l'un et intelligente et curieuse pour l'autre mais elles sont toutes deux incroyablement belles et prisonnière de leurs conditions. Mais aussi le film va parler de femmes prêtent à tout dans leurs quêtes d'émancipations et au lieu de brosser un portrait féministe, le film va prendre cela à contre pied pour nous laisser dans l'expectative, jusqu'où peut on aller pour une cause qui est foncièrement juste ? Ici il ne prend ni le partie des femmes ni le parties des hommes, chacun ont leurs qualités et défauts, chacun est cruelle à sa manière.
Et au milieu de tout cela, la sexualité règne en maître, car ici il en sera beaucoup question, c'est même le vecteur centrale du film car qu'est ce qui pousse à la cruauté, à l'envie de domination et qu'est-ce qui sert à la manipulation ? La réponse est ici le sexe, il est partout et régit nos vies. D'ailleurs le film pose des questions intéressantes et incroyablement justes (dans une certaine mesure car le film ne prend pas en compte l'asexualité) du moment que l'on s'intéresse à des êtres sexués. Il répond même avec habilité lorsque l'on se pose la question de la nécessité de la sexualisation de l'I.A. Pourquoi donner un sexe à une machine ? Pour qu'elle en profite ? Oui et non car c'est à la fois une arme mais aussi une faiblesse et le film joue diablement bien avec la dualité des choses car au final rien n'est unidimensionnel et une chose peut avoir plusieurs fonctions pour diverses raisons. Et en traitant cela comme le fait le film il atteint un champ des possibles assez vertigineux et enlève toute notion de manichéisme.
Sinon le casting à beau être réduits il n'en demeure pas moins parfait. Domhnall Gleeson est excellent et arrive à retranscrire les doutes et les différentes facettes de son personnage avec maestria, il est constamment en évolution et compose une performance trouble et schizophrénique. Alicia Vikander s'impose clairement comme une jeune actrice à suivre, offrant ici une performance toute en subtilité où chaque émotion est dosée à la perfection. Et n'oublions pas le maître de cérémonie, le génial Oscar Isaacs, qui ici très en forme apporte une dose de mystère bienvenue et anxiogène. Il est grandiose du début à la fin et s'offre une des scènes de danses les plus dingues de ses dernières années.
Pour ce qui est de la réalisation le film est un huit clos donc les scènes en extérieurs se font rares et on est dans une ambiance très claustrophobique malheureusement le montage se fait un poil trop rapide, certains plans aurait mérité de s'inscrire dans la durée pour accentuer leurs impacts mais sinon pour ce qui est de la bande son très atmosphérique c'est un sans faute comme pour la magnifique photographie de Rob Hardy qui se montre superbement léchée. La mise en scène de Alex Garland est particulièrement sobre mais c'est ce qui fait sa force, il ne tombe pas dans l’esbroufe habituelle des premiers films mais il arrive à offrir des fulgurances d'esthétismes bien trouvées à l'image du rendu des caméras de surveillances, des phases allégoriques ou même du final qui enchaîne les plans magnifiques notamment un plan renversé qui représente des ombres et qui se montre très évocateur et fort en symbolique. D'ailleurs il y a aussi énormément de jeu de miroirs et de reflets qui sert incroyablement bien le propos du film et joue sur les apparences, quelles soit sexuelles ou intériorisé elles sont le centre du film, ce qui montre que la mise en scène est pensé avant pour servir le scénario et son message et elle le fait admirablement.


En conclusion Ex Machina est un excellent film. On est en face d'une oeuvre ambitieuse, élégante et constamment intelligente que ce soit sur son scénario, qui traite de plusieurs thématiques sans pour autant s'égarer dans des propos inutiles, ou dans sa mise en scène qui évite tout les écueils d'une première oeuvre. De plus les acteurs sont tous parfaits et nous entraîne dans ce conte macabre qui n'a pas fini de nous faire réfléchir grâce à sa profondeur et le brio de son traitement. Alex Garland renouvelle donc habilement la S-F intelligente et nous offre une leçon de maîtrise qui laisse pantois surtout que cela se mue en tour de force lorsque l'on réalise que l'on est en face d'un premier film. Un début très prometteur pour ce scénariste qui vient juste de se transformer en cinéaste.

Frédéric_Perrinot
9

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le 10 juin 2015

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