Rie est une journaliste danoise envoyée sur le chantier du métro de Copenhague, pour faire le portrait des hommes qui travaillent au niveau d'une tête de forage — le "cutterhead" du titre, à l'origine d'une très belle image en introduction, imposante, presque intimidante, en plan fixe. Dans les premières minutes du film, on la suit dans un dédale de métal et de béton, tandis qu'elle pénètre via un ascenseur au cœur du chantier situé à des dizaines de mètres sous terre. Elle pose quelques questions bateau à des ouvriers qui ne parlent ni anglais ni danois, se contentant de répondre "yes" à ce qui servira de base à un article rédigé d'avance dans ses grandes lignes, censé célébrer la synergie européenne. Deux ou trois petits incidents plus tard, elle se retrouvera coincée dans un sas de décompression avec Ivo et Bharan, deux ouvriers croate et érythréen.


Les ennuis ne font que commencer.


Le travail de Rasmus Kloster Bro (un réalisateur danois inconnu au bataillon) sur l'immersion, spatiale et sensorielle, est remarquable. Assez vite, une ambiance légèrement inconfortable s'installe, alimentée par une pression claustrophobique (qui n'en finira pas de croître) et par le travail assez peu sérieux de la journaliste. En termes d'environnement sonore, avec tous ces bruits métalliques et ces sons de compression / décompression, et d'environnement visuel, avec une succession de lumières artificielles et de cavités exiguës mal éclairées, la descente dans ces lieux hostiles composés de tuyaux fumants et de portes blindées est très éprouvante. Très vite, on se retrouve dans une situation de survival où trois personnes doivent survivre après que la situation a dégénérée.


Des antagonismes plutôt surprenants, latents, à peine perceptibles durant la première partie, feront surface. À mesure que le sentiment de claustrophobie s'intensifie, une dimension d'horreur sociale s'installe sans qu'on ne l'ait vue venir. La métaphore politique ne brille pas par la finesse de ses archétypes, aussi pertinente soit-elle, mais elle contient une part d'originalité (dans l'effet de surprise qu'elle produit) assez intéressante, en jouant sur des rapports de domination aussi pervers qu'insoupçonnés. Les deux aspects, survival perturbant pour qui nourrit un minimum la fibre de la claustrophobie et critique sociale de l'Europe avec les cols blancs d'un côté ("I'm allowed to go anywhere I like", comme elle le répètera) et les blue collars de l'autre (embourbés dans leurs problèmes familiaux et financiers), se mêlent de manière adroite. Tout conduit vers un final partagé entre l'agonie et l'apocalypse dont on ressort le souffle coupé.


http://je-mattarde.com/index.php?post/Cutterhead-de-Rasmus-Kloster-Bro-2019

Morrinson
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le 13 déc. 2019

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Morrinson

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