Exodus
6.7
Exodus

Film de Otto Preminger (1960)

Récemment, j’ai émis l’envie de découvrir des classiques du cinéma qui manquent encore à ma culture. Et pour symboliser cela, j’ai constitué une liste de 100 films que je souhaitais voir depuis longtemps.
Parmi eux, Exodus.

J’avais sélectionné Exodus pour deux raisons : pour me plonger un peu plus dans la filmographie d’Otto Preminger (et de Saul Bass) et parce que le sujet m’intéressait. Car ce film tire son titre d’une histoire bien réelle.
Après la Seconde Guerre Mondiale, plusieurs centaines de milliers de Juifs déportés se retrouvent sans endroit où retourner, ayant tout perdu et/ou refusant de revenir dans leur pays d’origine suite au conflit. Nombre d’entre eux envisagent de s’installer en Palestine, terre historique du Judaïsme, alors sous administration britannique. Mais les autorités locales voient d’un mauvais œil un tel projet, ce malgré les anciennes promesses d’état juif exprimées par différents gouvernements, car cela risque de créer des tensions sur place avec les Musulmans.
Exodus était le nom d’un bateau, baptisé ainsi selon un célèbre passage de l’Ancien Testament, et qui devint le symbole de la volonté de nombreux Juifs de rejoindre la Palestine, mais aussi de l’opposition de la communauté internationale. A son bord, 4500 passagers quittèrent la France en Juillet 1947 pour immigrer illégalement ; mais ils furent rapidement interceptés, et sommés de rentrer. Le traitement infligé aux migrants fût telle qu’il provoqua un puissant impact sur l’opinion public par l’intermédiaire de la presse, en particulier leur débarquement de force à Hambourg, et leur acheminement vers des camps dans des conditions déplorables, qui rappelèrent les heures sombres d’un passé trop récent. L’affaire aura finalement des répercussions sur la décision de l’ONU de créer l’état d’Israël.

Sauf que tout ça, nous ne le retrouvons pas forcément dans Exodus, qui adapte un livre lui-même inspiré de la réalité, mais seulement inspiré ; nous gardons le côté symbolique de l’entreprise, mais cela n’ira pas tellement plus loin.
J’ai beaucoup de mal avec ces films dont nous pourrions avoir l’impression qu’ils traitent de faits historiques, mais qui prennent de nombreuses libertés. Le cinéma étant un média si puissant, il existe toujours un risque qu’ils imposent une vision déformée des événements, qui arrange les producteurs/réalisateurs (parfois à des fins de propagande) ou qui permette juste de répondre à des impératifs liés au format.
Dans le cas d’Exodus, je suppose que l’auteur du livre a gardé le nom justement pour le symbole, mais a surtout voulu écrire une histoire autour de la création d’Israël.
Le film commence lorsque des immigrants sont débarqués à Chypre et placés dans un camp d’internement, sous le regard d’une jeune veuve américaine, Kitty Fremont (Eva Marie Saint) ; infirmière de son état et proche du dirigeant militaire de l’île, elle propose son aide et se lie d’amitié avec Karen Hansen (Jill Haworth), une adolescente en route pour la Palestine où elle pense retrouver son père. Mais l’agent palestien Ari Ben Canaan (Paul Newman) compte bien lancer une opération d’envergure pour mener une partie des internés vers leur destination d’origine, en les faisant embarquer à bord d’un bateau. Attachée à Karen, Kitty va se trouver mêler aux événements.

Je vais m’arrêter là, mais je tiens à préciser que cette première partie du scénario couvre environ une heure, pour un film qui en compte au total plus de trois. La suite se déroule en Palestine.
Otto Preminger étant issu d’une famille juive de Vienne – même s’il a émigré dès 1934 pour son travail, donc bien avant l’Anschluss – je craignais qu’il ne se montre trop partisan dans la mesure où l’Histoire avait déjà été réécrite avant même qu’il ne commence à tourner. Mais finalement, pas du tout. Ou très peu. Exodus n’est pas manichéen, dans la mesure où tout le monde défend ses idées (ou respecte ses ordres) au-delà de toute notion de bien ou de mal. Si nous pouvons comprendre les aspirations des futurs Israéliens, ils apparaissent aussi comme des individus fanatisés et embrigadés, dont les enfants apprennent le maniement des armes sous la forme de jeux ; sans compter ceux qui vont se livrer à des actes terroristes pour faire entendre leurs revendications. Le réalisateur exploite très peu le point de vue des Musulmans, mais se sent obligé de mettre en avant au moins une figure positive de leur côté. Idem pour l’armée britannique en charge de Chypre et de la Palestine ; c’est d’ailleurs un haut-gradé qui va servir à rappeler quelques dates importantes et promesses faites au peuple juif. Non, les seuls qui sont vraiment méchants, ce sont les Nazis.
Dans tout ça, le personnage de Kitty Fremont observe d’abord, puis participe activement.

Exodus est un film ambitieux, romanesque et à grand spectacle. Rien ne manque à l’appel : une longueur déraisonnable (3h30), un couple vedette glamour à souhait, une musique inoubliable, des envolés lyriques, des personnages tragiques,… Il s’agirait presque d’un genre à part entière, dont le style grandiloquent n’est pas sans rappeler certaines productions américaines sur la Seconde Guerre Mondiale.
Mais ce long-métrage peut compter sur 3 atouts : un grand réalisateur, de bons acteurs, et un budget conséquent. Cela ne suffit pas toujours pour obtenir un résultat acceptable, mais en l’occurrence, ça aide. Otto Preminger n’est pas le premier venu ; il vient de tourner son chef d’œuvre, Anatomie d’un Meurtre, et nous offre nombre de scènes mémorables, dont un silence des plus évocateurs entre deux frères que tout sépare, ou un interrogatoire émouvant dans un repère de l’Irgoun ; le tournage à Chypre et Israël lui permet aussi de proposer des vues saisissantes de la campagne ou des trésors architecturaux de ces deux régions du globe, pour un dépaysement total. L’histoire est portée presque toute entière par le duo Paul Newman / Eva Marie Saint, lui interprétant un homme déterminé à atteindre ses objectifs mais qui se méfie de tout le monde, et elle une femme forte à la recherche d’un sens à donner à sa vie de veuve ; les seconds rôles s’en retrouvent parfois éclipsés malgré leurs performances, à part peut-être Sal Mineo.
Quant au budget, c’est bien entendu lui qui permet la délocalisation du tournage sur les bords de la Méditerranée, l’emploi d’acteurs prestigieux, et la présence d’une foule de figurants, indispensables pour donner de l’ampleur et un souffle épique au récit.

En raison des quelques libertés qu’il prend avec l’Histoire, Exodus exige d’être abordé avec esprit critique de la part du spectateur. Mais ce classique un peu oublié de nos jours mérite d’être redécouvert tant il impressionne sur de nombreux points : démesure du projet, beauté des décors, émotion dégagée par le couple vedette, et même comportement extrémiste des membres de l’Irgoun et de l’Haganah, les principales factions juives ayant œuvré pour la création de l’état d’Israël.
Même s’il n’est pas exempt de défauts – justement à cause de son scénario loin d’être fidèle à la réalité, et de l’idéologie qu’il se met parfois à véhiculer tout en essayant de n’accabler personne – il s’agit d’un film à grand spectacle proposant une large palette d’émotions, servi par des acteurs et des techniciens de talent.
Je ressors malgré tout de ce long-métrage avec un sentiment étrange. Je l’ai trouvé à la fois touchant, beau, et impressionnant, mais il me laisse une sensation de malaise en raison des idées datées qu’il véhicule et de sa façon de pervertir les faits sans annoncer clairement la couleur. Il ne faut pas accepter ce film comme un bloc, mais l’aborder en ayant conscience de ses limites.
Ninesisters

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