Exotica, comme nombre des réalisations d’Atom Egoyan, articule deux thématiques, la mémoire et la famille, de façon ici vertigineuse et enivrante : soit un club de striptease comme moyeu autour duquel gravitent une série de lieux secondaires dont la signification et l’ordre chronologique apparaîtront à mesure que les personnages vont se rencontrer, échanger, se révéler les uns aux autres. Le long métrage constitue avant tout une construction topographique, reflet d’un égarement mental, et procède par métaphores en les reliant entre eux des lieux étrangers, opposés – l’étroitesse d’une voiture, la démesure des plaines. Le club Exotica, qui donne son nom au film, sert au cinéaste d’observatoire dans lequel suivre des destinées qui se croisent ; toutefois, nous ne sommes pas, à l’instar d’Éric, juchés tout en haut de la salle ou cachés derrière les miroirs sans tain, réduits en somme à de vulgaires spectateurs passifs venus profiter des danses lascives, non nous sommes égaré dans le club, nous cherchons à lever un mystère qui nous envoûte ou du moins à créer nous aussi un lien particulier avec le personnel.
Aussi le long métrage se situe-t-il entre le regard clinique sur l’homme d’un Cronenberg et l’onirisme sensuel d’un Lynch, tout en réussissant à s’affranchir de ces deux modèles pour proposer une vision audacieuse et originale d’un drame aux mille répercussions, un drame dont le soufre et l’immoralité tendent à se dissiper, dispersés par l’atmosphère exotique et brûlante de la salle de spectacle. Egoyan brosse ici le portrait d’un père et mari meurtri qui trouve en la compagnie d’une jeune danseuse à la fois un enfant à reconquérir et une attirance sexuelle à assouvir, là où la danseuse l’aborde tel un père de substitution venu la sauver de cette débauche artificielle. Exotica est un refuge contre l’espace domestique et ses souvenirs douloureux, incarné par cette maison rouge sang qui clôt un long métrage remarquable en tout point et porté par la sublime partition musicale de Mychael Danna.