À l'autel elle alla, elle le tua là

Comme pour Full Metal Jacket, je suis étonné par ce Eyes Wide Shut. Oui mais... L'étonnement est ambivalent. Même le titre nous indique qu'il est l'heure de regarder les choses en face alors même qu'elles sont opaques... ou ne sont pas accessibles pour l'instant. Toujours est-il qu'il faudra sans doute une initiation pour se sortir de ce coma étonné.

Comme pour Full Metal Jacket et d'autres oeuvres de Kubrick, il y a à l'intérieur du film un second souffle, un deuxième film qui étaie le premier. Ici, la narration dessine une hyperbole dont les derniers temps répondent comme une traversée de miroir aux premiers. Comme s'il s'agissait d'une présentation en abîme, l'affiche arbore fièrement un miroir sur fond violet, couleur de deuil, du surnaturel et de la jalousie, un miroir qui reflète le couple cerné par le violet. Et comme pour parachever un la prémonition d'un rêve, le couple qui est un vrai couple ne l'est plus, en réalité comme à l'écran.
Les dialogues eux aussi sont hyperboliques : aux questions les protagonistes répondent par des questions à l'identique, comme pour confirmer et aller un peu plus vers l'abattement des révélations.

Quand Alice culpabilise d'avoir été troublée dans son mariage par un homme charmeur, elle s'est sentie comme l'âme d'un serpent, désinhibée par la fumette d'un petit joint. Comme s'il fallait ce "truc" pour être compris de l'autre, pour se dire la vérité. Comme si le mariage était un voile, comme si c'était de fermer les yeux sur la réalité de l'autre de sorte à vivre ce mariage comme une chose acquise. L'histoire nous apprend que toute construction amoureuse est une illusion et que cette illusion revêt différente forme.

Le mariage n'est-il pas une forme de prostitution consentie et monogame ? C'est Marx qui l'écrivait dans le Manifeste sous ces mots : "Nos bourgeois, non contents d'avoir à leur disposition les femmes et les filles des prolétaires, sans parler de la prostitution officielle, trouvent un plaisir singulier à se cocufier mutuellement. Le mariage bourgeois est, en réalité, la communauté des femmes mariées. Tout au plus pourrait-on accuser les communistes de vouloir mettre à la place d'une communauté des femmes hypocritement dissimulée une communauté franche et officielle. Il est évident, du reste, qu'avec l'abolition du régime de production actuel, disparaîtra la communauté des femmes qui en découle, c'est-à-dire la prostitution officielle et non officielle." Tout au long du film, l'histoire répond au mariage par l'option différenciée de plusieurs prostitutions. Mais la réalité est telle qu'elle s'enfonce dans une succession de trompe-l'oeil de plus en plus éblouissants, comme s'il s'agissait eux-même de rêve.

Il y aurait long à dire sur cette succession d'options qui jonchent le parcours du Dr. Bill Harford. Et il aurait pu s'arrêter sur chacune d'entre elles dans ce dédale nocturne. Mais, comme Icare attend de se brûler les ailes pour choir, il se rend au plus épais, au plus sacré des simulacres pour comprendre son tourment, les vicissitudes de l'union et se saisir de sa désillusion. Pour comprendre, il se munit d'un mot de passe : "Fidelio"... Un mot qui ressemble à un autre mot dont on dit communément qu'il est la fondement essentiel du mariage mais qui se rapporte, en l'occurrence, à un opéra de Beethoven où l'on voit une femme mariée se travestir en homme pour que son époux échappe à la mort. Etrange similitude avec ce qui se passe dans ce château rococo cette nuit-là (opposition miroir d'un certain classicisme le jour ?).

Dans son ambivalence et au son du piano de Jocelyn Pook, c'est un film décadent mais aux résolutions salutaires et essentielles (le couple est reconnaissant l'un pour l'autre ; je le suis aussi). Il admet une vision aplanie et confondante des relations sociales - des masques sociaux - et que nul statut social ne permet d'échapper aux impasses métaphysiques et dérisoires que l'amour conduit quand il s'officialise. Vingt-quatre heures pour achever une entente jusque là cordiale et qui, un matin, feint l'entente pour se tourner vers une seule issue basique et mécanique : baiser.
Andy-Capet
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le 13 déc. 2012

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Andy Capet

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