Médecin riche et honnête à qui la vie a souri de toutes ses dents sans jamais lui en montrer la crasse, Bill se drape de toutes les vertus avec facilité. Une personne formidable forçant le respect et l'admiration, contrôlant sa gestuelle et sa plastique superbe au grand bonheur de ces dames. Et de sa dame, qui, peut-être, est un peu moins sage que la vie bourgeoise sans ressac qu'elle mène.
Une vie morne et monotone entrecoupée des coups de reins d'un seul homme qui la place directement dans une position de faiblesse face à son bon mari aimant, médecin et responsable de la subsistance de sa lignée. Une situation qui ne ravit pas la femme du XX° siècle qu'elle est mais dont elle ne peut s'extirper que d'une seule façon, en jouant de son corps.
Une femme parfaite en tout point que son mari ne jalouse pas puisqu'il lui fait confiance et il sait qu'elle lui est fidèle. Si elle l'est dans les actes, peut-être l'est-t-elle moins dans les idées et il se pourrait même que cette créature pense. Une occasion qu'elle saisit pour installer le doute confortablement dans la tête de son petit mari.
Et si la femme de Bill avait voulu baiser le marin qu'elle avait croisé ? Et si elle avait pensé tromper celui qui lui accordait sa confiance les yeux fermés ?
Avec, pour la première fois, l'idée que quelque chose puisse lui échapper, Bill entame une lutte tourmentée avec lui même, une remise en question morale et conjugale vers les abysses du pêché.
L'hétérogénéité des scènes et des ambiances rend le film très crédible, d'autant que la performance de Tom Cruise est très bonne. Certains passages sont envoutants alors que d'autres sont totalement triviaux. On passe d'un appartement de prostituée presque insalubre à une cérémonie de chateau malsaine et ensorcelante, d'un moment purement érotique à une consultation médicale ou d'achats dans un magasin.
Tout cela contribue à faire d'Eyes Wide Shut à la fois une critique sociale et un délire fantasmagorique qui traverse subtilement les sujets et les ambiances sans les nommer. Les femmes sont des objets de désir au pouvoir d'attraction immense, les hommes, mêmes puissants, sont faibles faces aux charmes de la chair. L'opulence et l'excès d'un décor contrastent avec la modestie du suivant, ce constat est également valable pour les personnages qui se fréquentent sans se cotoyer, qui échangent sans se regarder. Un troc de services dans une société où chacun joue avec les armes qui lui ont été attribuées.
Finalement, et par l'intermédiaire de sa femme, Bill se voit arraché douloureusement le filtre qui lui obstruait la vue, le laissant seul face à lui-même dans un monde aux reliefs irréguliers, certes cruel, mais véritable, où bon nombre d'artifices visent à en atténuer les aspérités.