L'amour à mort
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le 23 mars 2011
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Critique publiée sur Kultur & Konfitur.
Philippe Clarence est un artiste de renom dans le domaine de la haute couture. Il collectionne les robes taillées pour ses modèles et surtout conquêtes comme Barbe-Bleue collectionnait les corps de celle-ci.
Enfant, en faisant des tours de manège, Philippe Clarence arrivait à chaque fois à faire passer l'objet dans le trou pour gagner des tours gratuits. Symbolisme lourdaud mais qui suffit à révéler une bonne partie de la psychologie du personnage. Si Philippe aime les femmes, il les considère comme un frein qui ne doit jamais refréner sa passion ni son art, comme des jouets disponibles, des caprices éphémères. Anne-Marie reste dans son ombre, fidèle qui accepte la soumission, et n'est qu'une robe de plus dans la garde-robe de Clarence.
Voilà que de la province arrive Daniel, nettement moins à l'aise que Philippe. Daniel est fiancé à Micheline, leur mariage est imminent. Philippe voit en cette belle demoiselle une cible de plus, le spectateur comprend que leur relation ne pourra durer, que Micheline va se faire duper, risquer de ruiner une situation somme toute confortable, pour un homme qui s'en débarrassera à la prochaine qui appellera ses désirs. On suppose aussi le happy ending où, dans un monde où la morale bien convenue, Micheline finira par choisir Daniel tandis que Barbe-Bleue sera puni.
Jacques Becker joue avec ces codes du mélodrame, du triangle amoureux, du Don Juan carnassier. Il surprend, navigue, fait languir le spectateur qui attend cette fin convenue, savourant presque à l'avance sa déception. Raymond Rouleau, bien fade dans son personnage de départ, semble se rendre compte qu'il ne considérait peut-être pas Micheline comme les autres quand elle sort de la soumission pour s'imposer à lui et s'en détacher. Situation inhabituel pour le bourreau des cœurs, c'est alors que commence la chute aux enfers de Clarence, à une vitesse aussi incandescente que la durée de ses relations. Et Rouleau se révèle dans cette folie, cette perdition, le regard hagard, dans le vague, happé par des hallucinations qui culminent lors de la très belle dernière séquence.
Becker nous laisse prendre notre temps, joue avec ses personnages, leurs émotions(la réussie séquence de ping-pong qui pourrait être si ennuyeuse, mais ne l'est pas grâce à une parfaite maîtrise du rythme), entre rejets, retours possibles, choix qui semblent définitifs mais ne le sont jamais tout à fait. Le spectateur ne saura jamais si en effet Philippe Clarence éprouvait pour Micheline quelque chose de plus que pour les autres, ou si ce n'est que le rejet par celle-ci qui l'y fait croire. Si Micheline était revenue, l'aurait-il gardée, aimée ? Ni lui, ni le spectateur ne le sait vraiment, on en est réduit à voir l'effet du rejet sur cet homme à qui tout était acquis. Le succès de sa nouvelle collection ne suffit alors plus, et la sortie de la folie ne peut se faire que dans ces dernières scènes qui ne sont pas sans faire penser au "suicide" d'Alex qui se réveille au son de la Neuvième Symphonie de ce bon vieux Ludwig van.
Servi par des interprétations justes, Jacques Becker parvient à jouer avec les codes du genre tout en les déjouant. Il s’appuie sur des figures culturelles de l’Europe pour construire ses propres personnages, dans un univers qui sert à merveille à la fois une réalisation pleine de détails et un fond où l’apparence règne en maître.
Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Médiathèque, côté cinéma, Je les ai vus en 2014 et Les meilleurs films des années 1940
Créée
le 2 juil. 2014
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