Racontez-moi votre rêve

C’est la question qu’a posé (la fantastique) Charlotte Le Bon aux candidats de son casting. Bon ok, c’était juste pour l’anecdote, parce qu’honnêtement je savais pas comment démarrer cette critique/lettre d’amour à Falcon Lake. Et c’est peu dire que je l’attendais celui-là, pas forcément pour sa réalisatrice (même si ça a bien changé depuis ^^) mais parce que c’est le genre de projet qui m’a tapé dans l’œil. Un peu un mélange de distributeur prometteur (Tandem ayant distribué l’immense Un Monde), d’une sublime bande annonce aux images prometteuses, d’une simple phrase d’accroche qui donne le ton, etc. Et puis c’est petit à petit, par le bouche à oreille cannois, que le métrage est passé de curiosité à attente démesurée. Par chance, comme pour Annie Colère, j’ai eu l’occasion de le découvrir au fifib, en présence de la réalisatrice, réalisatrice qu’un certain éclaireur (dont je t’airerai le nom, mais il se reconnaitra) m’avait teasé comme une grande autrice à en devenir. Et à cela je suis d’accord, à une nuance près, c’est que pour moi, elle n’a déjà plus rien à prouver pour arriver à ce stade.



J’ai déjà répondu à la réponse qui intéresse plus ou moins tout le monde (enfin le « monde » qui lira ces lignes), oui, j’ai adoré Falcon lake. Et c’est peu dire que mes attentes étaient pourtant hautes, voir très hautes, surtout vu comment le tout semblait plus ou moins s’inscrire dans le genre fr (j’y reviendrai sur ce terme) et qu’après Nos Cérémonies, Grand Paris, Les rascals, Coma, j’en avait bouffé du genre en une semaine. Mais avant d’analyser en profondeur ce chef-d’œuvre, je veux aussi, et surtout, vous énumérer ses innombrables qualités. Pour commencer, c’est certes superficiel mais toujours agréable à préciser : bordel que c’est beau ! Evidemment le 16 mm très visible y joue beaucoup, mais la poésie des plans parfois millimétrés, ou encore libres voir immersifs, mais toujours virtuoses, couplés à la photographie de Kristof Brandl, c’est quand même plus de l’ordre du hasard. A noter aussi la b-o du film, composée par Shida Shahabi, et qui, malgré qu’elle soit parfois un peu répétitive, mystifie presque certains moments très forts, en particulier lors des dernières séquences du métrage. Et puis à côté, c’est vraiment bien joué ; pas forcément des performances qui vont chercher les Oscars, mais on trouve toujours le juste milieu, la nuance, entre un jeu réussi, et la fébrilité qu’on a tous à cet âge, qui apporte à la fois tendresse et caractère. Mais que serait de belles images sans un fil narratif ? Et ça tombe bien, parce qu’ici, c’est caviar. Une approche de teen movie/récit initiatique, avec un fond d’histoire de premier amour en prime. A première vue, c’est donc une comédie dramatique, aussi drôle dans son approche de l’enfance et la découverte de l’amour, mais aussi terriblement mélancolique dans certains thèmes abordés par Charlotte Le Bon notamment par l’ombre d’un mort dans le lac éponyme qui semble faire ressortir toutes les obsessions des protagonistes.


Au-delà du scénario qui est amplement efficace, c’est l’enchainement naturel de différentes thématiques qui m’ont impressionné dans Falcon Lake. D’une simple idylle de jeunesse sur la découverte des hormones, ça parle pêlemêle d’obsessions, d’amour entre adolescent et la frustration qui en découle, mais surtout, de l’importance du souvenir de l’autre. Pour être sincère je pense surtout que Falcon Lake est suffisamment universel pour que chacun puisse avoir sa propre vision. En revanche cela donne une vraie personnalité au film, bien loin de se servir de ses outils par pur hasard, que ces derniers soient liés à la technique ou la narration. Evidemment, les influences y sont aussi pour beaucoup, notamment vis-à-vis du point de vue du film, qui reste constamment à hauteur d’enfant sans pour autant atténuer certains passages presque morbides, parfois semblant sortir de nulle part (le cerf notamment) qui ne sont pas sans rappeler un certain Stand by me. A hauteur d'enfant, aussi parce qu'il n'est pas question d'érotiser le récit, il y a toujours une pudeur, une distance, qui passe par le rire ou la tendresse, mais surtout de petits détails, comme dans une scènes dans un bain, ou les protagonistes ne sont pourtant pas dénudés. Mais ça passe aussi dans des décors, toujours encrés dans cette Amérique du nord profonde, qui mêle ruralité et sentiment de liberté face à une nature obsédante ; finalement personnage central de la relation entre Bastien et Chloé, à la fois dans une scène aussi inutile qu’exaltante entourant un sofa (dont je vous laisse la surprise de la découverte), que d’autres sans autres conséquences que la relation entre les deux tourtereaux (un simple plongeon, leur délire tiré de SNK, etc.), ou de passages clés comme un cap-pas-cap à base de t-shirt relevé qui est aussi techniquement impressionnant (car je rappelle qu’on tourne sur la flotte) que facilement marquante pour la rétine de quiconque. Bref, c’est ça Falcon Lake, un mélange d’idées associées à une technique cohérente qui offre par moment des séquences à couper le souffle. Je sais juste pas si c’est par amour du cinéma, ou parce qu’il s’agit de moment incroyablement universels.


Un des points fondamentaux de Falcon Lake et que je n’ai toujours pas abordé, c’est la question des fantômes. Ces fantômes, qui ont su exciter beaucoup, dont moi, et qui semblent influencer l’histoire autant que cet amour éphémère. Je ne vous révèlerai pas plus que la bande annonce peut laisser présager, mais que c’est avec cette idée que je qualifierai de « géniale » que je vais en venir à une prise de position sur le cinéma francophone. Aujourd’hui en France, on qualifie « film de genre » tout ce qui se rapproche plus ou moins au cinéma fantastique, horrifique, etc. Mais maintenant, je pense que des films comme Falcon Lake devraient s’approprier ce nom, principalement parce qu’il reste dans un flou constant, et un mélange équilibré des tons. Ma réflexion est grandement liée à cette fin ouverte que je ne saurai décrire sans spoiler, mais qui semble entièrement redéfinir la structure même du film si prise dans un certain sens.


Tout est plus ou moins filmé pour nous montrer que Bastien est mort, noyé dans le lac en fin de film. Mais au final, est-ce une approche purement tragique qui force métaphoriquement ou non Chloé à faire le deuil de cette relation, ou est-ce qu’il ne s’agirait pas d’un problème de point de vue. Est-ce que depuis tout ce temps, le fantôme qui fait vivre Chloé, ce mort qui l’obsède, et si c’était lui depuis le début, et que le film parle de deuil (pour la défense de cette hypothèse, la zone où la famille se recueille me parait incroyablement chargée en trop peu de temps, qui sait…) ? Donc, film tragique, ou à ressort réellement fantastique ?


Et puis, même sans la surcouche fantastique, de film de genre, Falcon lake c’est aussi une prodigieuse adaptation. Si je n’en n’ai pas parlé outre-mesure, c’est aussi parce que plus que d’être libre, l’appuie de la BD « Une sœur » reste principalement de l’ordre de l’influence. Des aveux de Charlotte Le Bon, la première version du scénario était nulle à chier, en partie parce que trop rattachée à la BD. Falcon lake s’est progressivement émancipée des fondations premières de la BD pour mettre à la place les propres influences de sa réalisatrice, que ce soit dans le cadre Québécois, la personnalité des personnages, etc ; c’est principalement cette amour qui semble être resté. A noter que cette dernière remercie au générique (ce que je compte comme influence) à la fois ses traumas, ses peurs ou encore les blagues de pet.


Si tu me lis Charlotte, t’aurais cependant mieux fait de respecter la BD à la fin, et faire mourir ces p’tits cons bons qu’à être bourré.


Mais voilà, au-delà de la simple chronique de vie, de la surcouche "genre", Falcon Lake c’est principalement une œuvre personnelle, rentrant dans l’intime de personnages pour toucher à l’universel (et presque me faire chialer, aussi).


Falcon Lake est un chef-d’œuvre, s’il possède certains défauts, principalement liés au rythme et à certains personnages, honnêtement moins intéressants que d’autres, c’est selon moi un film d’une grande maturité qui mélange savoir-faire évidant, confiance inébranlable dans son processus créatif, mais surtout, un tel niveau de franchise que cela provoque, pour ma part, une montagne russe émotionnelle. Certains n’y trouveront probablement pas autant de qualités, n’auront pas la même passion que moi, mais je doute que beaucoup ne voient pas objectivement la qualité ne serait-ce que plastique du rendu. Au final, plus que certains films mieux classés dans mon top, il m'a marqué au fer rouge, je l’espère pour toujours.

Si le père noël existe, qu’il exauce mon souhait que la France entière le voit 10 fois.

Créée

le 11 déc. 2022

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