Alors que Marius (Pierre Fresnay) est parti à l’aventure sur les mers (voir l’épisode précédent, Marius), Fanny (Orane Demazis) découvre qu’elle attend un enfant de lui. Pour s’éviter le déshonneur, elle décide alors d’accepter la demande en mariage de Panisse (Charpin), au grand dam de César (Raimu), qui déplore l’absence de son fils. Mais tôt ou tard, le retour du père de l’enfant adviendra…
Indéniablement, le cinéma français (et même international) a trouvé un de ses plus grands peintres de l’âme humaine en la personne du grand Marcel Pagnol. Avec Fanny, même s’il n’en a pas assuré la mise en scène, il nous prouve en effet une nouvelle fois l’immensité de son talent et sa formidable capacité à explorer au plus profond l’âme humaine, et à la restituer dans toute sa splendide complexité. Ainsi, dans la lignée des grandes tragédies depuis l’Antiquité, la trilogie marseillaise de Pagnol ne nous immerge pas dans un monde divisé entre les bons et les mauvais, mais dans un monde remplis d’hommes, avec ce qu’ils ont de bon et de mauvais en eux, écrasés par le poids d’un destin empli de fatalité.
Par la grâce d’acteurs tous aussi exceptionnels les uns que les autres, dominés par les immenses Raimu et Charpin au sommet de leur gloire, Fanny nous attache donc à tous ses personnages, hauts en couleur, aussi bien à l’inconsolable César, père déçu par un fils irresponsable, qu’à l’opportuniste (mais non moins émouvant) Panisse, qui voit dans la faute de Fanny et Marius non seulement l’occasion de réparer une erreur commise par son aimée mais également celle de fonder enfin la famille qu’il n’a jamais pu avoir. Les dialogues sont encore plus brillants, s’il est possible, que dans Marius, et nous offre un mélange absolument inimitable d’humour et d’émotion, l’un étant indissociable de l’autre, chacun exprimant à sa manière les tourments des personnages de la manière la plus juste qui soit.
Malgré certaines baisses de régimes pas bien graves, Fanny est donc un enchaînement de scènes cultes : la lecture de la lettre de Marius, l’écriture de la réponse, l’émouvant aveu de Fanny à sa mère, l’acceptation de la demande de Panisse, la naissance du bébé, le retour de Marius, l’incroyable trio final entre Marius, Fanny et César... Impossible de dresser une liste complète de ces superbes séquences qui se succèdent les unes aux autres pour culminer dans un final d’une puissance inouïe, immense moment de cinéma. Cinéma d’un autre temps, mais si intemporel au vu de notre cinéma contemporain bien périssable, qui ferait presque regretter que l’on soit né à une époque où cet art inestimable se trouve réduit la plupart du temps à une simple consommation (parfois agréable, mais loin de rivaliser avec les grands classiques du genre).
Car le cinéma de Pagnol, c’est le plongeon dans une autre époque, dans un autre monde, un monde où la simplicité était la règle, où l'on parlait à tout le monde dans la rue, où l'on pouvait monter en surnombre dans le tramway sans être embêté, où l’on pouvait laisser sa boutique sans surveillance pour aller discuter avec son voisin sans aucun risque, où le mensonge était haïssable, un monde où avoir un enfant en-dehors du mariage était alors considéré comme un péché par une société qui savait encore ce que c'était que la morale. Le cinéma de Pagnol, c'est le dernier témoin d'une époque disparue, non pas à laquelle il nous faudrait retourner pour être heureux (elle avait ses propres problèmes, bien évidemment), mais dont on aurait tellement à apprendre, si l'on se donnait un peu la peine de vouloir faire avancer les choses...