Crise de notes et crayons de rois
La silhouette du maître se dresse, les instruments se tendent, les doigts s'affûtent et dans un mouvement doucement brutal, la symphonie débute, emportant dans ses lames de fond une image incarnée, ne laissant qu'ondulations d'ombres et ressacs de couleurs.
La valse picturale prend son envol, pétales d'azure, voiles de glaise et lueurs d'or tourbillonnant sous la chevauchée des notes déchaînées, virevoltant puis sinuant, glissades et saccades dans le rythme balbutiant d'une respiration euphorique en timide éruption.
Les couleurs se confrontent, se chevauchent et se perdent, englouties dans leur propre folie de vie. Le bleuté de velours laisse sa place au soleil de sang dans une détonation glaçante sur fond de ténèbres.
Le silence devient soudain la plus musicale des notes et le noir la plus percutante des teintes.
Les ténèbres se mouchettent de rosée cristalline, chaleureux reflets de feu et apaisantes étincelles d'indigo, constellation chatoyante d'une palette symphonique, voie lactée bercée sur une nuit dansante. Chaque note prend vie, chaque minéral trouve mouvement, toile d'araignée, champignons ventrus, cloches taquines et feuilles mortes s'accordent de concert sur une mélodie grouillante, battement impétueux et turbulent, sulfureuse tornade de flocons sur une planche de suie.
En son cachot lugubre, le rat se traîne. Doucement, les yeux vers le sol abyssal, il accompli sa tâche, rêvant en secret de destins plus glorieux, toits enneigées et firmaments étoilés.
D'un oeil égaré, le dos courbé sous le labeur, il toise son maître desséché s'afférant à ses obscures intrigues. Au fond de lui, le rat entend la curiosité siffloter ses doux airs de sirène délurée, et en son sein profond, ressent le plus inavouable des désirs.
Le maître est parti, le rat est d'envie.
Chaussant coiffe et portant fougue, l'animal pointe un objet du doigt. Puis un autre. Les notes s'emballent, l'orchestre dialogue. L'image s'affole et les notes s'amusent. Un rongeur gonflé d'orgueil, étouffé de pouvoir, réduit à massacrer sa propre créature, silhouette macabre arrachée à un tracé d'écarlate.
La musique gonfle et le bois bourdonne. Un ballet de balais et un créateur de frayeur, grandes oreilles et guêtres étirées s'empêtrent dans les geôles d'une partition machiavélique et rigolarde, jusqu'à son apogée sismique préludant l’accalmie d'un orage endormi.
A l'univers constellé succède la planète étouffée. Les monts rocheux ponctuent un paysage infernal où les volcans, orgues titanesques antédiluviens, soufflent l'éveil ronflant d'un caillou désolé. Le tout se contient sous un ciel mural, huis clos haletant sur immensité désertique. Puis vient l'explosion, danse nouvelle, mouvement énervé, envolé, fou. Au grondement succède le tintinnabule et à l'eau de feu, le bleu de l’abîme. Les formes s'attirent et se repoussent, les êtres s'engagent dans des luttes musicales de caresses lancinantes et de naturelle cruauté. Le poisson trouve ses pattes et la vie son chemin.
Les coulées verdâtres s'animent dans le mouvement des cous démesurés, découpant leur déliés sur la brume violacée. Les lumières flottent et la poussière stagne. Crocodiliens sinuent sur une surface de ridules et courbent leurs échines hérissées sur la cadence des vagues tourmentées, inlassablement s'écrasant sur les pics vertigineux, agresseurs obstinés d'un ciel déchiré. Les plus hauts sommets déchiquetés se déploient et se lancent, laissant apparaître leurs enfants reptiliens volant au dessus de ces eaux d'embruns et de crocs.
Le panorama déroule sa fresque sur une crise de notes tâtonnantes, montagnes d'écailles et creux de griffes, ouvrant le chemin vers une forêt sombre, terre vierge et page froissée, dans les éclairs de vie et les pluies de mort.
L'orchestre retrouve son souffle régulier, tranquille, apaisé, suivant d'un oeil désarmé l'évolution d'un cimetière annoncé.
Et la suite reprend sa folie des hauteurs, emportant son murmure dément et ses cascades colorées vers les cieux divins, monts merveilleux peuplés d'équidés cornus, de centaures fleur bleue, d'angelots coquins, de roches sucrées et colonnes marbrées, de lacs discrets et frondaisons gloussantes, paradis joyeux et naïf où pigments et musique trouvent, eux aussi, leur entremetteur pour la plus fine des compositions.
Quelques notes de plus et la savane trouve son ébullition, ballet d'échasses et valse pachyderme, sous l'oeil convoitant des bêtes d'écailles drapées de pourpre, l'ensemble trouvant son osmose dans un duo tourbillonnant vers des sommets euphoriques.
Le final clôture l'ensemble dans une alchimie de beauté et de peur d'une extrême finesse, démon de nuit déployant ses ailes de fusain sur un monde endormi. Lueurs blafardes à l'agonie et noirceur de désespoir trouvant leur souffle dans un bleu velouté et l'oranger d'une flamme rassurante. Sur ces chœurs envoûtés, le dessin effleure son apogée, retrouvant sur des cimes intouchables d'un panthéon artistique, l'ensemble d'une symphonie mystique.