La poisseuse cité londonienne a cédé place à l'écrasante New-York et le vieux Scrooge fait de la télé un soir de réveillon. Il y a de quoi, avouons-le, bouleverser l'ordre établi et faire se retourner le malheureux Charles Dickens dans sa tombe. Ebenezer en costume d'époque lorgne en douce les danseuses de Noël qui ne craignent ni le froid ni la caméra pendant que la mort prend l'ascenseur car on ne fait pas mieux pour voyager dans le temps. Quoi qu'un taxi usé jusqu'à la moelle, de carambolages en aquariums à cigarillos, ferait sans doute l'affaire faute de mieux ou d'avoir des ailes. La censure en prend un coup et un beau dans le nez mais l'amour vache que veux-tu. Fantômes et revenants s'égosillent à tout va. Ça crie! Ça hurle! Ça beugle! Ça vous crève les tympans. Le calvaire. Rien d'étonnant cela dit vue leur descente de bibine aux macchabés sur le retour. Heureusement qu'il y a de l'amour, de la douceur, du sucre d'orge et du ronron pour adoucir les contours. C'est l'Amérique, ouais.
C't'un peu trash tout ça mais c'est Noël et ça fait grimper l'audimat. Pas de mal à voir les autres s'en faire et c'est dans l'air du temps, c'est vivant, c'est le goût du jour et ça bouscule quelques codes établis. Mais sans abus, non non! Des enfants vont poser leurs mirettes sur le produit, s'agirait pas de s'infliger la vindicte parentale. Les minauds, ils veulent du gag facile, du qui fait du bruit, du ridicule, du facile à comprendre dans leurs têtes de demeurés en devenir. Il va glisser le sale type. Et tomber de son sus. Quelques éclaboussures aussi, un peu de redondance, du comique de répétition. Pourquoi pas une petite chanson? Et on fera chanter la salle! Ça c'est osé.
Mais ose c'est Noël. Sors des sentiers battus, impose quelques libertés, quelques contre-emplois, quelques cadrages audacieux. Attention! Il y a des limites et un cadre pauvre fou, l'Amérique a des attentes séculaires qu'il ne faut en aucun cas bousculer.
Assez morne l'ambiance malgré tout. Si on invitait cette année l'oncle Bill? Lui il n'a pas son pareil pour enflammer l'assistance. C'est peut-être le charisme ou un genre de talent à l'image. Ou l'hyperactivité. Un sacré bonhomme et que Dieu le bénisse. Il en fait des tonnes, ça c'est sûr! Il est fou! Il est seul! Il fait disparaître ses voisins de table. C'est un prestidigitateur! C'en est presque gênant. C'est son jour. Il souffre et s'offre pour la cause, un vrai martyr de l'écran.
On rigole bien. Sans arrière pensée. Mais en tout état de cause, si on veut marquer les esprits, comme le conte de Noël, il faut une morale. Il faut que ça transparaisse bien vite, que ça fasse paisiblement son chemin dans les méandres du cerveau qui végète en présence du divertissement. À ce titre, l'inspirateur était grand, un vrai bijou de subtilité. Autant en profiter pour le citer fréquemment. Astucieux. Facile.
Le postulat est des plus simples. Le radin malveillant, par la bienfaisante - bien que souvent douloureuse - intervention des esprits de Noël, doit ouvrir les yeux sur le monde et les Hommes, apprendre que la vie humaine et le partage offrent un épanouissement que nulle possession matérielle ne peut approcher. Et se recaler avec son ex’ car c'est l'Amérique.
La trame semble aisée à dérouler, le happy-end garanti, le succès inévitable. Ha si seulement! Le sujet, hélas, est un véritable piège. L'œuvre fondatrice jouait sans relâche les multiples gammes de l'âme humaine, jonglant de l'une à l'autre avec une dextérité toute littéraire, affranchie par les mots de ce nécessaire réalisme propre à l'interprétation filmique. Quelle audace que de tenter la retranscription d'une telle prose. On ne pouvait espérer mieux qu'un aboutissement en demi-teinte et surtout un final clichesque à des lieux de la magique conclusion de son prédécesseur.
Un peu de magie, une bien belle présentation, une énergie communicative, ne soyons pas boudeurs... Malgré l'insupportable carcan créatif qui l'emprisonne, malgré la disparition de thèmes chers à l'instigateur du récit, occultés par un humour gentiment potache, malgré une morale mal exploitée, c'était un joli conte de notre temps.
Et c'est Noël...
http://www.senscritique.com/livre/Un_conte_de_Noel/critique/42347542