Un grand classique des frères Coen vu tardivement (et à la rigueur tant mieux), ce qui me permet d’apprécier pleinement sa cruelle ironie, son cynisme pourtant non exempt d’une lueur d’espoir ; et de me rendre à l’évidence quant à l’indiscutable —pour ne pas dire irréfutable— connerie humaine dépeinte au travers d’un film aux décors aussi blanc neigeux que la noirceur des actes qui s’y déroulent est intense.
La parfaite ambivalence de notre réalité ; d’autant que l’histoire s’inspire de faits réels…fictionnels.
Le film nous fait la démonstration de cet effet boule de neige d’emmerdes que nous avons tous vécu, suite à une succession de mauvais choix et de malchance, nous emportant irrémédiablement dans un enchainement de galères plus difficiles à gérer les unes que les autres et pour lesquelles nous développons des stratégies tout à la fois fuyantes et de plus en plus foireuses.
Sauf qu’ici le sordide de la situation est poussé à son paroxysme dans une affaire mêlant kidnapping, extorsion, meurtre et autres accidents imprévus et ingérables que la pouasse nous réserve toujours pour rajouter comme qui dirait sa cerise sur le gâteau.
Pour donner corps à des situations aussi extrêmes et emplies de cynisme ravageur, les frères Coen nous brossent un tableau noir de l’espèce humaine : du faible père de famille aussi souvent pitoyable qu’incapable de faire face aux conséquences de ses actes désespérés (W.H.Macy toujours aussi bon dans le pathétique) au patriarche castrateur sans grands scrupules (Presnell antipathique au possible), en passant par un duo de truands dépareillé composé d’un sociopathe peroxydé (Stormare plus patibulaire que jamais) et d’une petite frappe impatiente à drôle d’allure (du Buscemi d’excellent crû).
Au dessus de toute cette mélasse décérébrée et bordélique flotte une Mc Dormand impeccable, dont le personnage malin et tenace semble être le seul à trouver grâce au regard des frangins réalisateurs/ scénaristes, et constitue au travers de l’apparente banalité de son existence de future mère marié à un nounours pantouflard mais néanmoins aimant, la seule lueur d’espoir et d’équilibre dans ce bas monde.
Comme pour nous dire autrement que le mieux pour pas avoir d’emmerdes c’est de pas faire de conneries ; ou encore d’agir un tant soit peu intelligemment et de se contenter de la tranquillité de son existence au lieu de remuer la merde.
Avançant doucement mais avec constance de rythme, de qualité d’écriture et d’interprétation, le film des frères Coen (qu’ils ont coréalisé bien que Ethan ne soit pas crédité) est un petit trésor d’ironie noire, surtout pour qui savoure la débâcle de personnages tous aussi pitoyables les uns que les autres qui n’ont au final que ce qu’ils méritent ; une démonstration très juste et très fine de la bêtise humaine et de ses conséquences. Et comme souvent dans la famille, cette justesse de ton se retrouve jusque dans les dialogues. Fargo bénéficie aussi d’une très belle photographie servie par des paysages enneigés à la fois paisibles et perturbés, et d’ abords de routes qui ressemblent à des accidents de parcours.
C’est beau la connerie.