Un jour, à force, des gens vont en avoir marre mais la neige, purée...
J'étais en sixième . De jolis cheveux qui tombaient en cascades de glace sur mes épaules de puceau. De glace parce que c'était pas soyeux et souple comme la chevelure de Dave Mustaine mais massif et compact. C'était plus proche de Slash. Une version maghrébine de Slash. Si j'avais eu le courage à l'époque et la nature de cheveu, j'aurais expérimenté le catogan, la frange. Enfin tous ces trucs que tu regrettes quand c'est trop tard. À moins de t’appeler Elton John et de planter des poils de cul sur ce qui te sert de ganache.
Enfin, bref, j'étais en sixième. A la frontière de l'enfance et l'adolescence.
Cet âge où ta mère n'a plus le droit de venir te chercher à l'école, ou alors loin. Au coin de la rue. "Mais je ne te donne pas la main !"
Cet âge où ta voix te joue des tours, baryton crécelle juste en disant « bonjour ».
Cet âge des boutons.
Cet âge où les filles commencent à ne plus te faire le même effet. Tu as encore envie de leur tirer les cheveux, mais pas pareil.
Cet âge où, pourtant, un papillon qui passait te faisait t'envoler, encore, dans des contrées de bleu et rouge, avec des chevaux ailés, où, dans la cour de récréation, il y avait encore ceux qui couraient comme des cons à s'attraper à coups d'aaaareuh et ceux qui fumaient en dissertant sur la bêtise de ceux qui courent comme des cons. En hurlant «aaaareuh».
Alors la neige, tu imagines ? Ça pouvait aller très loin. Tellement loin.
Car, mon ami, mettre en présence ces gens qui plongent dans l'adolescence enfumée et ces gamins qui se croient sur la banquise, une couche au cul, c'est gage de guerres, de représailles et de méprises totales. Car, j'avais quoi ? Envoyé une ou deux boule de neige. Trois grand maximum. Et franchement, avec ces centaines de grenades blanches qui volaient dans les airs, la probabilité qu'une des miennes s'écrase sur la gueule d'un grand qui fumait sa clope, la carotte lui faisant une jolie cloque juste sous son œil droit, c'était plutôt mince.
Pourtant, ce que j'ai entendu ce jour-là, c'est «C'est le frisé, là, je l'ai vu».
Dieu merci, un grand que je pensais être de ces mecs qui avaient redoublé mais qui en fait était un pion est venu me sauver, ce jour-là, dans la cour.
Après j'ai regretté que maman ne vienne plus me chercher devant l'école en fait. Ma mère, savant mélange de Louis de Funès et d'Arnold, en garde de mon corps, elle les aurait sans aucun doute repoussés, me protégeant des méchants comme elle l'avait toujours fait. Mais non, Madame prend tout au pied de la lettre et attend, papotant avec une de ses amies au coin de la rue.
Mais le monde de cette époque recelait encore en ses recoins, grâce à Dieu, ce génie, des cabines téléphoniques.
Crois-moi, j'en ai passé des plombes dans ma cabine-bunker à attendre qu'ils se lassent et qu'ils partent, sûrs d'eux. «Il ne sortira jamais, ce morveux, la porte est scellée par la glace !» et «Le frisé, il est coincé» accompagnant leur retraite.
Connards.
Tout ça pour dire... la neige, purée, ça me fait peur depuis lors. Et les gens du coin où j'ai grandi aussi.
Du coup, Fargo, c'est vachement approprié pour exposer mon trauma.
Du coup.
Et ce film, c'est deux frangins qui te parlent du pays qui les a vus grandir sans en faire un documentaire touristique. Un coin des Stazunis de l'Amérique où faut pas oublier d'acheter ton pain si tu ne veux pas te retaper 60 bornes pour réparer cette erreur fatale.
On a quand même le droit d'aimer saucer, putain !
Une comédie noire. Avec du blanc et puis du rouge.
Le Midwest comme théâtre des opérations, immaculé, où le ciel se confond avec le sol, s'il n'y avait pas ces hommes qui font tache, teintant ce blanc de rouge, sang.
Ces hommes et leurs choix qui font boule de neige.
Il y a ce type qui a tellement creusé sa tombe à coups de mensonges, de cachotteries, d'arnaques et de cet espoir, tu sais, celui qui te fait dire que ça ira mieux demain.
Ce personnage qui pense se sortir de son pétrin, s'enroulant un peu plus dans sa mélasse, en faisant confiance à ses idées à la con, précipitant sa chute et celle de ceux qui l'entourent.
J'aime ce duo improbable de traîne-savates mal assorti, le petit bizarre et le grand chelou, le jacteur et le taiseux, le margoulin et le psychopathe. Ils sont rigolos mais flippants aussi. D'un kidnapping terrifiant de loufoquerie à un contrôle routier qui tourne au carnage nihiliste.
J'aime cette flic qui n'est pas dupe et qui mange pour deux, tout le temps.
J'aime cette musique, son celtisme cotonneux qui enrobe le tout pour donner un air de légende.
J'aime ne pas discerner la frontière entre les bons et les méchants. Comme ce foutu ciel et ce putain de sol.
On a l'impression d'être là par hasard, que les scènes s'enfilent comme des perles sur un collier de crânes et d'os.
Merci aux Coen de nous donner tout ça, ces histoires, ces mots, ces images, sans jamais magnifier, grandir ou salir les personnages plus qu'il ne le faut.
Des personnages qui existent, car d'un trait, d'un mot, ils ont réussi à me persuader que si je m'en vais faire un tour dans ces coins enneigés, je risque de tomber sur ces gens.