Avec Faute d'amour, Andreï Zviaguintsev opère une nouvelle fois sous nos yeux, à la fois ébahis, terrifiés et admiratifs, le corps plus très sain de la Russie contemporaine. Et sans anesthésie, cela va sans dire. Objet de la vivisection, cette fois-ci : le couple, comme somme de deux individualismes, et plus largement l'égocentrisme des citoyens d'un pays qui a remplacé Pouchkine par Poutine. Constat glacé que le réalisateur d'Elena illustre en s'appuyant sur un fait divers, la disparition d'un enfant, seul élément dramatique qui lui permet de tisser une narration arachnéenne qui ne laisse aucune issue, pas plus à ses deux personnages qu'au spectateur. C'est le propre des grands cinéastes (Bergman ici, puisque le projet initial de Zviaguintsev était d'adapter Scènes de la vie conjugale) que de savoir se renouveler tout en restant fidèles à leurs propres thématiques, comme autant de variations dans des tonalités voisines. Sombre est le cinéma de Zviaguintsev, clinique est sa manière, avec une utilisation sidérante de travellings avants moelleux et d'une musique (Arvo Pärt) qui semble littéralement enfoncer le clou dans ce qui pourrait rester d'espérance ou de résilience. On peut certes réfuter Faute d'amour en l'accusant de noirceur excessive et d'absence d'empathie mais on peut aussi admirer la maîtrise d'un des tous meilleurs cinéastes contemporains qui, film après film, dresse un portrait sinistre et pertinent de son pays, comme l'ont fait les grands auteurs russes au XIXe siècle. Et au-delà de certains particularismes, on peut même l'étendre à l'ensemble de notre monde occidental.