Autant le dire d’emblée, Faute d’amour est un film qui met le moral à zéro, faute d’espoir. À la fin de la séance, je me suis subrepticement demandé pourquoi je n’étais pas allé voir la dernière comédie populaire… puis je me suis souvenu de la mise en scène, maîtrisée du premier au dernier plan, de A comme Andrei à Z comme Zvyagintsev. Le réalisateur continue d’accomplir la mission qu’il semble s’être donnée : dresser le portrait sans fard de la Russie contemporaine sur fond, ici, d’éclatement familial.


Les longs plans fixes de la séquence d’ouverture donnent le ton : Faute d’amour sera glacial. Les arbres sont nus et morts, immobiles comme les plans, prisonniers du cadre. Dans l’arrière-plan, de grands immeubles moroses dissimulent la ville comme l’arbre cache la forêt. Dans ce métrage, c’est la périphérie de la ville qui représentera le mieux le for intérieur de ceux qui y vivent : un paysage d’arbres morts, recouverts d’un neigeux linceul. C’est en tout cas la représentation pessimiste d’une Russie confrontée à la modernité dans ce qu’elle a de plus pauvre et de moins progressiste.


Il n’est pas anodin, par ailleurs, que ce portrait russe se dresse sur fond de disparition : il y avait hier dans le cœur des gens une flamme qui n’est plus, semble-nous dire Zvyagintsev. Il n’est pas anodin non plus que ce soit un enfant qui incarne cette flamme et que ce même enfant disparaisse au cours du film dans ce qui pourrait représenter le for intérieur de ses parents : la flamme est étouffée. « Je n’en veux plus » répète d’ailleurs Alyosha juste avant de disparaître.


L’omniprésence des écrans jette également un voile sur ces âmes tristes, un linceul. Comme si le climat ne suffisait pas, la modernité à son tour ronge la chaleur humaine comme un acide rongerait la moelle des os : ce qu’ils devraient avoir de plus précieux au monde, les parents d’Alyosha n’y prêtent guère attention et vont jusqu’à regretter sa naissance. Sa mère qui n’a, selon ses dires, jamais aimé personne lui préfère le « like » des réseaux sociaux. Son père, quant à lui, le remplacera bientôt (l'interchangeabilité des êtres est évoquée à plusieurs reprises). Ses parents divorcent, oui, mais s’ils se séparent, c’est avant tout de lui.


Dans cet environnement, Alyosha est une anomalie. Il est le besoin au pays du manque, le relief sur la surface plane, l’enfant rêveur au pays des blasés. Si ses parents ont chacun retrouvé quelqu’un, ce n’est que pour mieux recommencer leurs erreurs passées : malgré les rapports charnels au sein des deux nouveaux couples, l’authenticité fait défaut et l’on se demande si l’acte sexuel (frontal mais glacial, presque mécanique comme beaucoup de leurs actions) n’est pas la principale motivation des deux mâles.


Récompensé par le Prix du jury cannois, dur, bouleversant et poignant comme les sanglots étouffés d’un jeune garçon qui, caché derrière une porte, entend ses parents se disputer son débarras, Faute d’amour est l’œuvre d’un grand cinéaste et marquera l’esprit du plus imperméable des spectateurs.

Menulis
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le 26 sept. 2017

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