J’ai été déroutée dans un premier temps: pas de gore ou très peu, organes soigneusement dissimulés, pratiquement pas de cris d’épouvante. Pourtant c’est le même genre d’horreur que pour La Mouche, en plus psychologique, plus atmosphérique (plus subtil aussi?) et sans doute plus riche en interprétations et niveaux de lecture.
On y retrouve les mêmes thèmes que pour La Mouche: l’amour pour une femme empêché par une horrible anomalie physique bien sûr, mais aussi, par exemple, celui de la maternité, dans tout ce qu’elle a de plus insondable et de plus monstrueux, et qui nous pousse à la rejeter. Si dans la Mouche ce rejet venait de la femme, épouvantée à l’idée de donner naissance à un être contre-nature, il est ici très oedipien: ainsi le ventre de Claire Niveau en plus de constituer pour les deux frères une impasse professionnelle (c’est la première fois de leur carrière qu’ils sont confrontés à pareil cas), ainsi que la porte ouverte à une faille dans leur osmose (comment ne pas voir, dans ses trois utérus, la représentation de cette tierce personne venant se mêler d’un duo jusque-là indivisible?), est aussi ce qui les renvoie à leur propre « difformité », celle d’être nés jumeaux. En le découvrant, Beverly, le plus fragile des deux frères, semble se souvenir de l’endorit d’où il est issu (et c’est aussi, sans doute, ce qui le poussera à créer des instruments de torture pour ses patientes; il en vient à haïr cet endroit originel qui a fait de lui un monstre, et à tenter de le rectifier par tous les moyens). En cela, on peut voir dans le personnage de Claire une substitution à la figure maternelle, jusque dans sa relation avec Beverly: plus reposante que celle qu’il entretient avec son frère, mais aussi plus spirituelle,
un brin idéalisée, et surtout une relation où la séparation (coupe du cordon) est autorisée; ainsi Claire, toute stérile qu’elle soit, aura réussi à engendrer un nouveau Beverly... et d’ailleurs, si lui et son frère ont choisi le métier de gynécologue, n’est-ce pas pour tenter de percer l’énigme autour de leur nature?
Un autre thème bien présent est celui de l’homme qui, en voulant s’élever par le biais de la science, ne réussit qu’à amorcer une longue et terrible descente aux enfers: ainsi le scientifique de La Mouche, qui en voulant créer un surhomme se transforme en abomination génétique; ainsi également Beverly, qui comme son frère n’a jamais réussi à dépasser le stade de l’enfant rattaché à sa famille, et qui, en tentant de s’en détacher pour devenir adulte, ne réussit qu’à régresser au stade foetal, en entraînant son frère avec lui. Cette tentative réussit cependant en partie, dans la mesure où elle permet (sinon physiquement, au moins psychiquement) de le distinguer de son frère: des deux, Bev est celui qui explore, innove, expérimente; c’est lui qui, le premier va découvrir qu’il existe une autre alternative à la fratrie Manthle, et essayer de la saisir; il connaît donc une véritable évolution au cours du film; à l’inverse, son frère Elliot, plus conservateur, déterminé à préserver les apparences et faire se maintenir les relations (il est toujours très soucieux de l´image que lui et son frère peuvent renvoyer auprès du grand public), moins imaginatif et moins apte à s’adapter aux situations nouvelles, ne fera que le suivre dans sa chute, s’acharnant à conserver leur lien, quitte à y sacrifier sa raison et sa vie; le plus fort des deux n’est donc pas forcément celui que l´on croit...
Néanmoins, les tentatives concrètes pour séparer les jumaux s´avèreront vaines: en attestent les objets de torture créés par Bev, devenus des objets de décoration servant juste à orner les vitrines des magamsins d’art. Et même Elliot mort, Beverly ne peut se résoudre à l´abandonner. Encore une fois, la fin est similaire à celle de la Mouche: la mort lente d’un homme emprisonné dans son laboratoire, étouffé par ses expériences, payant le prix d’être allé beaucoup plus loin que sa nature ne le lui permettait.