February
5.1
February

Film DTV (direct-to-video) de Oz Perkins (2015)

J'ai eu l'extrême chance de ne pas voir la bande annonce de ce film avant la film lui-même.
Car si l'on finit par être habitué au trailer qui dit trop, voire à celui qui dit tout, au trailer mensonger, entre autres catégories de bandes annonces toutes aussi néfastes pour l'oeuvre qu'elles essaient de vendre, celle de February réussit une performance de haut niveau en révélant littéralement toutes les scènes clé tout en mentant sur leur nature et leur fonction, créant ainsi des attentes non pas démesurées, mais simplement à coté de la plaque.
(le titre de départ de cette critique était "Poignardé par son propre trailer")
D'ailleurs, les pubs dans les magazines français ne font pas beaucoup mieux, en travestissant ce film à l'étrangeté chevillée au corps en proto slasher, à l'aide d'une image trompeuse sortie de son contexte (d'ailleurs est-elle seulement dans le film ?).


Ceci étant dit, comment vendre February ?
Le film repose énormément sur son ambiance sonore évoquant les pics d'ingéniosité de David Lynch dans le sound design de ses films, nappes de sons étouffantes essorant l'anodin de certaines situation pour en extraire et en révéler l'angoisse et le malaise sous-jacents. Loin d'être des effets putassiers pour ajouter du suspense là où il n'y en a pas, ces montées de tension sont toujours intelligemment installées et jamais gratuites. Car quelque chose rode à la périphérie, intangible et omniprésent.
Le Malin est dans la place.
C'est donc d'autant plus dommageable de voir dans sa bande annonce toutes ces pseudo "scènes-choc" dénaturées, enchaînées dans un montage incisif d'un classicisme creux et consommé, laissant supposer un film d'horreur de base jouant sur les codes habituels de l'épouvante, à coups de jump scares et autres ruses putassières si rarement finement dosées -même si parfois, ponctuellement, un James Wan nous sort un Conjuring pour nous rassurer sur les codes en eux-mêmes, sur le fait qu'ils ont encore quelque chose à dire-, alors que le film décide avec audace et un certain panache de s'extraire de la mécanique éculée de mise en tension tendue vers sa conclusion.
Révéler ces scènes, c'est non seulement du spoil éhonté, mais en plus un mensonge total sur la fonction de ces dernières, tenant plus de la ponctuation que de l'aboutissement à proprement parler, car tout a déjà été dit à ceux qui savent tendre l'oreille. La tension des scènes, la force du film ne réside pas dans ces moments finaux étalés sans pudeur dans ce trailer, mais dans l'ambiance mise en place avec une maestria qui force le respect.
Cette bande annonce crée une fausse attente, place le spectateur dans une disposition qui va à l'encontre du propos même du film, en occulte l'essence!
Au lieu de savourer le moment présent, les textures offertes par les scènes en déroulement, la pesanteur des ambiances, l'épaisseur du malaise, le spectateur "averti" par ce torchon de trailer va inconsciemment projeter ses attentes vers la conclusion des scènes, schéma classique du film d'épouvante -même de très bonne qualité, soit dit en passant- et passer à coté de ce que le film a à offrir.
Et c'est dommage, car le film est généreux, pour peu qu'on se laisse porter par ce qu'il nous murmure, et non par les fausses attentes d'une non-hype créée à coups de malentendus marketing maladroits et contre productifs.


On pense parfois à l'ambiance du Locataire de Polanski et l'intelligence de son traitement de l'Inquiétante Etrangeté, comme on dit, ces petits dérèglements, microdécalages réussissant à induire un déséquilibre subtil, à faire sentir que quelque chose ne va pas, la terreur du familier défiguré par pointes légères, presque anodines et pourtant bien là.
Le David Lynch de Fire Walk With Me n'est pas loin non plus, et l'on entend certains échos de Suspiria dans le lointain, étouffés par les brumes et les décors enneigés.
Plus proche de The Witch que de Shining, de Changeling que d'Amitiville, des Innocents que de l'Exorciste, February impose son ambiance et son rythme. Au spectateur de s'y soumettre pour pouvoir apprécier à sa juste valeur ce film audacieux et atypique, angoissant, intelligemment structuré, une véritable réussite qui réussit même à retourner son seul vrai défaut -la faiblesse d'un twist final qui n'en pas un- en qualité, poussant celui-ci jusqu'à son inéluctable conclusion.


Refusant le principe du set-up/pay-off si ancré dans le cinéma de genre voire le cinéma tout court, February se regarde et s'apprécie au Présent.

toma_uberwenig
8
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le 27 nov. 2016

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toma Uberwenig

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