FÉLICIE NANTEUIL est une adaptation d’Anatole France écrite par Curt Alexander, scénariste juif allemand (entre autres d'Ophuls) qui mourut déporté. Tourné en 1942 dans la zone libre, interdit par les allemands, il ne sortira qu’en 45 - ce qui permettra certaines retakes de scènes finales. C’est de loin le meilleur film de Marc Allégret. Aucun génie, mais aucune faute. Ce n’est pas tant vertu du « classicisme » qu’une sorte de bonne intelligence, de rigueur éclairée, au service des personnages. Et ceux-ci sont étonnamment subtils. Une jeune comédienne connait le succès et abandonne son mentor pour un sémillant baron. On voit le coup venir. Mais non. Le carriérisme de la jeune ambitieuse est tempéré par la candeur resplendissante de Micheline Presle, qui ne joue jamais l’intention du personnage, mais juste son pur présent, sa jeunesse, sa soif légitime de jouissance. Le cabot raté que joue Claude Dauphin, touchant et minable, ne tombe pas plus dans la caricature. Même le jeu un peu empêché de Louis Jourdan trouve sa justification dans l’ambivalence d’un personnage à la sincérité incertaine. Il est passionnant de revoir tout ça à l’aune des questions actuelles de « masculinité toxique ». Si le film était d'aujourd’hui, la fin serait sans doute différente (édifiante et résiliente). Ici, malgré un tempérament émancipé et des aspirations modernes, la jeune femme ne se sortira pas vraiment du piège de l’emprise. Il est rare de voir un film de cette époque observer cette situation avec une telle vérité. Contrairement à la misanthropie du cinéma français des années 40 (fasciné par les ordures veules et hypocrites), le film tient son cap en ne jugeant personne. La caméra, discrète, est toujours à la bonne place pour saisir l'expression, le geste, le déplacement du personnage, montrer sans démontrer. Avec le Grémillon, c’est le plus beau rôle de Micheline Presle. C’est peu dire qu’elle y est tout à fait extraordinaire.