Vivre fier ou mourir

J'attendais Fences avec beaucoup d'impatience. En effet, si un film avec Denzel Washington est majoritairement une bonne surprise (les 7 Mercenaires d'Antoine Fuqua est le meilleur remake de 2016), un film de Denzel Washington n'est pas courant. Là, il s'agit de l'adaptation de la pièce de théâtre Fences que Denzel connaît très bien et dont il a interprété le personnage principal. Bref, il connaît la pièce de théâtre et ce n'est pas tout : tous les acteurs à l'exception de Jovan Adepo et Saniyya Sidney ont déjà incarné leurs personnages et connaissent le matériel de base. Même le créateur de la pièce était au scénario de l'adaptation du film avant son décès. Donc là où certains puristes vont certainement crier à la trahison de la pièce éponyme, a priori il n'y a pas à craindre de ce coté là. Et au final...on va voir ça !

Une réalisation en apparence fonctionnelle et qui se révèle vraiment supérieure à ça

Au niveau de la réalisation, le film est fonctionnel dans son ensemble, mais Denzel essaye pas mal de plans d'ensemble avec 3 personnages vraiment bien placés. L'action se déroule toujours du coté de la maison de Maxson à l'exception des premières scènes et d'une scène de bar. Mais chaque scène est vraiment mûrement réfléchie. Déjà, à de rares exception près, Troy est toujours représenté à l'extérieur de la maison et Rose à l'intérieur, ou sur le parvis du jardin. Toujours. Et surtout Troy est plus du coté de la barrière qu'il essaye de construire depuis longtemps. Autre chose, on remarque aussi que la maison est décorée d'image de Jésus (wow, c'est la 2e critique dans laquelle je parle religion. Je vais encore devoir prendre des pincettes). Cela souligne d'une part le coté spirituel de Rose et sa fidélité à la tolérance, là où Troy est malgré son coté bon enfant très strict et dur. D'ailleurs elle est plus expressive en dehors que dedans la maison.L'autre particularité est la musique assez peu employée et à des endroits précis afin de rythmer le film. Mais au delà de cet état de fait, les personnages sont aussi plus ou moins intéressant.

Famille afro - américaine entre tranche de vie et turbulences.

Troy (Denzel Washington) est le père de famille. Éboueur de son état, ancien membre de la negro league de base ball est un personnage beau parleur et sympathique de prime abord. Cependant, afin d'assurer une vie et un avenir à ses enfants, il a du travailler dur et faire des choix malhonnête, surtout envers son frère Gabriel. C'est un homme qui voit en Cory une personne qui risque de se perdre et réagit durement avec lui (ce qui n'est pas le cas avec Lyons qui est pour lui un homme qu'il estime déjà majeur), voir même à l'extrême. Mais il possède un secret qui s'annoncera fatal dans ses relations avec sa famille.

Rose (Viola Davis) est la personne la plus solaire du film. C'est une mère qui a tout sacrifié pour son mari et même si elle l'aime, réprouve son comportement dur et intransigeant. Son meilleur moment est sans contexte le moment où elle apprend la vérité sur lui (tu m'étonnes que l'actrice a eu son Oscar ... le film mérite d'être vu par cette scène)

Cory (Jovan Adepo) est le fils cadet de Troy et Rose. Obligé de supporter la sévérité de son père, il va commencer à s'émanciper peu à peu, jusqu'à devenir progressivement un reflet de ce dernier. Je trouve que l'acteur joue plutôt bien dans se rôle , même si on sent une palette d'émotions limitée

Jim Bono (Stephen Henderson) est son meilleur ami et celui qui le connaît le mieux. Il intervient peu dans le film mais il est suffisamment développé afin pour qu'on se familiarise. C'est presque son seul ami et ses interventions sont cohérentes avec le développement du film.

Gabriel (Mykelti Williamson qu'on connaît dans de super films comme Forrest Gump, Heat, Les Rois du désert et Ali, voir les séries 24 et Justified) est le frère de Troy qui suite à la guerre est devenu déficient mental. Il ne vit pas avec eux mais il est un peu à leur charge. Malheureusement, il est exploité par son frère de manière assez vicieux. Cela dit il est quand même attachant et on va y revenir à sa dernière scène. J'ajoute aussi qu'il est adepte de la trompette.

Lyons (Russell Hornsby) est le fils aîné qui vit sa vie. Je le trouve très en retrait dans la famille (surtout qu'il a sa famille et ses problèmes à lui) mais il a un rapport différent. Du moins le fait qu'il soit un adulte joue. Mon reproche est qu'il est plutôt passif concernant ses rapports de forces avec Troy, sauf au début où il réclame de l'argent. Tout le focus se porte sur le père et ses relations avec Cory que par rapport à lui.

Huis-Clos par défaut

Déjà, la narration tient beaucoup d'une pièce de théâtre, avec le peu de personnage et les rapports de force. L'histoire ne paye pas de mine mais elle est intéressante. Evidemment, qui dit pièce de théâtre dit problème de longueurs à gérer. Ce film n'échappe pas à la règle avec son trop long temps d'exposition dans le premier acte, même si cela permet de bien installer les personnages et de rendre attachants les héros. La construction du récit est une pièce de théâtre en film avec ses actes, ses repères temporelles et les interactions limitées avec l'environnement. Cela dit, c'est assez bien raconté et on ne s'ennuie pas trop (sauf au début bien sûr, mais ça c'est personnel). Néanmoins, le retournement de situation , même s'il est le point fort du film et qu'il est bien amené était quand même prévisible (du moins au dans l'acte en question). Et si les rapports de forces entre personnage changent, cela ne rend pas le dérouler surprenant. L'épilogue est intéressant mais j'aurai aimé qui développe plus certains personnages laissés en retrait comme Lyons. En revanche, je ne saurais dire si la dernière scène était nécessaire, même si avec le recul, je l'ai trouvé amusante et qui donne une seconde vision pour le personnage de Gabriel. Je ne vous la spoilerai pas car elle vaut le coup.

Film à Oscar...ou pas ?

J'ai envie de dire non, car le film fait des choix de réalisations assez intéressant , là où d'autres films "à oscar" misent plus sur une histoire forte que sur l'aspect cinéma.

Et ce dernier semble en être un sur pas mal d'aspects mais il y a quand même des qualités qui font que le film ne se contente pas d'en être un. Viola Davis a-t-elle méritée son Oscar ? Surement. Aurait-il mérité plus ? Pas sûr. Film à voir ? Pourquoi pas.