Pour être un indiscutable chef d'oeuvre de l'histoire du Cinéma, "Fenêtre sur Cour" a longtemps été l'un des Hitchcock qui m'a donné le plus de mal... Je voyais bien combien sa partie "théorique", sur la représentation de l'espace et sur la position et le rôle du spectateur, constitue l'un des travaux les plus passionnants du Maître. (C"est d'ailleurs curieusement l'un de ses axes de recherche qui a été le moins poursuivi, sauf par De Palma bien entendu, comme dans "Body Double" : même si c'est sans doute la "théatralité" de la mise en scène qui appelle ce commentaire, je trouve que c'est chez Resnais - qui n'est pourtant pas un cinéaste "hitchcockien" - que l'expérience a été renouvelée avec le plus de pertinence). Je reconnaissais en outre que "Fenêtre sur Cour" bénéficie de la lumière éblouissante de Grace Kelly, qui n'a jamais été aussi belle que filmée par Hitch, et du délicieux marivaudage entre elle et un James Stewart hilarant, dans la posture empruntée du pervers qui justifie l'intrigue. C'est d'ailleurs un aspect peu commenté du film que de voir comment Hitchcock conçoit ici la construction d'un couple grâce à la complicité qui naît d'une aventure partagée : ce n'est pas du romantisme classique, mais c'est assez convaincant, pour le coup ! En fait, le problème que me posait "Rear Window", c'est que la lisibilité des situations, corollaire indispensable de l'exercice auquel se livre Hitchcock en superposant parfaitement le spectateur-voyeur et le personnage-voyeur, plaque une distance - théâtrale, je l'ai dit - sur l'intrigue, distance que l'utilisation de focales différentes (le regard nu, puis les jumelles, puis enfin le zoom hyperdimensionné du photographe, symbole phallique suppléant à l'impuissance sexuelle du voyeur) n'arrive pas à résoudre complètement. Ce n'est qu'au quatrième visionnage - dans la version parfaitement restaurée qu'on peut voir aujourd'hui - que ce film complètement admirable sur le plan théorique, cette matérialisation parfaite des liens entre l'impuissance et la fascination voyeuriste, a fini par me toucher : oui, j'ai fini par comprendre où se nichait la jubilation devant ce "spectacle impur", qui est loin d'être aussi évident que les autres chefs d'oeuvre de la même époque... [Critique remise en forme en 2016]