Pour être un indiscutable chef d'oeuvre de l'histoire du Cinéma, "Fenêtre sur Cour" a longtemps été l'un des Hitchcock qui m'a donné le plus de mal... Je voyais bien combien sa partie "théorique", sur la représentation de l'espace et sur la position et le rôle du spectateur, constitue l'un des travaux les plus passionnants du Maître. (C"est d'ailleurs curieusement l'un de ses axes de recherche qui a été le moins poursuivi, sauf par De Palma bien entendu, comme dans "Body Double" : même si c'est sans doute la "théatralité" de la mise en scène qui appelle ce commentaire, je trouve que c'est chez Resnais - qui n'est pourtant pas un cinéaste "hitchcockien" - que l'expérience a été renouvelée avec le plus de pertinence). Je reconnaissais en outre que "Fenêtre sur Cour" bénéficie de la lumière éblouissante de Grace Kelly, qui n'a jamais été aussi belle que filmée par Hitch, et du délicieux marivaudage entre elle et un James Stewart hilarant, dans la posture empruntée du pervers qui justifie l'intrigue. C'est d'ailleurs un aspect peu commenté du film que de voir comment Hitchcock conçoit ici la construction d'un couple grâce à la complicité qui naît d'une aventure partagée : ce n'est pas du romantisme classique, mais c'est assez convaincant, pour le coup ! En fait, le problème que me posait "Rear Window", c'est que la lisibilité des situations, corollaire indispensable de l'exercice auquel se livre Hitchcock en superposant parfaitement le spectateur-voyeur et le personnage-voyeur, plaque une distance - théâtrale, je l'ai dit - sur l'intrigue, distance que l'utilisation de focales différentes (le regard nu, puis les jumelles, puis enfin le zoom hyperdimensionné du photographe, symbole phallique suppléant à l'impuissance sexuelle du voyeur) n'arrive pas à résoudre complètement. Ce n'est qu'au quatrième visionnage - dans la version parfaitement restaurée qu'on peut voir aujourd'hui - que ce film complètement admirable sur le plan théorique, cette matérialisation parfaite des liens entre l'impuissance et la fascination voyeuriste, a fini par me toucher : oui, j'ai fini par comprendre où se nichait la jubilation devant ce "spectacle impur", qui est loin d'être aussi évident que les autres chefs d'oeuvre de la même époque... [Critique remise en forme en 2016]

Créée

le 12 juin 2013

Critique lue 443 fois

8 j'aime

Eric BBYoda

Écrit par

Critique lue 443 fois

8

D'autres avis sur Fenêtre sur cour

Fenêtre sur cour
Hypérion
10

And your love life ?

Rear Window, une des très grandes pellicules d'Alfred Hitchcok, personnellement ma préférée, où le maître du suspens parvient dans une maestria de mise en scène à faire du spectateur un voyeur...

le 11 déc. 2012

110 j'aime

17

Fenêtre sur cour
Sergent_Pepper
10

Vois, vis, deviens.

Souvent, le film parfait est intimidant : c’est un monument qui nous écrase de sa grandeur, un sommet dont on entreprend l’ascension avec l’appréhension du cinéphile qui se demande s’il sera à la...

le 19 juin 2013

106 j'aime

9

Fenêtre sur cour
Docteur_Jivago
9

Photo obsession

Aujourd'hui encore, Rear Window reste l'une des oeuvres les plus célèbres d'Alfred Hitchcock, voire même de l'histoire du cinéma et ce n'est pas pour rien. Le maître du suspense réalise un véritable...

le 23 août 2016

60 j'aime

7

Du même critique

Les Misérables
EricDebarnot
7

Lâcheté et mensonges

Ce commentaire n'a pas pour ambition de juger des qualités cinématographiques du film de Ladj Ly, qui sont loin d'être négligeables : même si l'on peut tiquer devant un certain goût pour le...

le 29 nov. 2019

205 j'aime

152

1917
EricDebarnot
5

Le travelling de Kapo (slight return), et autres considérations...

Il y a longtemps que les questions morales liées à la pratique de l'Art Cinématographique, chères à Bazin ou à Rivette, ont été passées par pertes et profits par l'industrie du divertissement qui...

le 15 janv. 2020

191 j'aime

115

Je veux juste en finir
EricDebarnot
9

Scènes de la Vie Familiale

Cette chronique est basée sur ma propre interprétation du film de Charlie Kaufman, il est recommandé de ne pas la lire avant d'avoir vu le film, pour laisser à votre imagination et votre logique la...

le 15 sept. 2020

190 j'aime

25